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«Aucun pays n'a réussi à régler ses problèmes financiers en monétisant ses déficits et sa dette publique» Alexandre Kateb. Economiste et conseiller en stratégie
- Le premier budget du gouvernement Ouyahia semble reprendre à son compte la folie dépensière des précédents Exécutifs, faisant fi de la hausse des déficits et de la dette interne. Le projet de loi de finances 2018 prévoit une dépense globale de 8628 milliards de dinars ; le budget d'équipement se chiffre à 4043,31 milliards de dinars, tandis que le budget de fonctionnement s'élève à 4584 milliards de dinars. Quelle lecture pouvez-vous en faire ? Ce budget 2018, dont le montant total s'élève à 8628 mrds DA, signale clairement l'abandon de la logique de consolidation budgétaire initiée il y a deux ans par le gouvernement de Abdelmalek Sellal, et matérialisée par le plafonnement des dépenses budgétaires en deçà de 7000 mrds DA sur la période 2017-2019. La hausse spectaculaire du budget d'équipement 2018 à 4043,31 mrds DA contre 2300 mrds DA initialement prévu dans le cadrage 2017-2019 est l'élément le plus frappant de ce budget. Cela se traduit par un déficit prévisionnel pour 2018 passant à près de 2000 mrds DA, soit un doublement par rapport aux 1000 mrds DA initialement prévus dans le cadrage 2017-2019. Le gouvernement justifie cette hausse, qualifiée d'exceptionnelle, par l'apurement des dettes accumulées par l'Etat auprès des entreprises de réalisation publiques et privées et par la relance de projets gelés. Dans les faits, la machine de la dépense publique s'emballe de manière complètement déconnectée par rapport aux ressources réelles dont dispose le pays, et en contradiction totale avec la volonté affichée de rééquilibrage des comptes publics. La situation économique est radicalement différente de celle d'avant le contre-choc pétrolier de 2014. Or l'Exécutif fait comme si toute contrainte financière avait subitement disparu ! - Peu avant la présentation en Conseil des ministres du projet de loi de finances 2018, le gouvernement a plaidé en faveur de la planche à billets pour le financement des déficits, de la dette interne et le renflouement des caisses du Fonds national d'investissement. Serait-ce le bon choix, ou bien l'Exécutif y va le couteau à la gorge ? Le recours à la planche à billets est présenté comme la solution magique à tous les problèmes financiers de l'Etat. Or, il n'en est rien ; mais quand cette illusion se dissipera, le mal sera fait et la facture risque de se révéler très salée pour les Algériens. Aucun pays dans l'histoire contemporaine n'a réussi à régler ses problèmes financiers en monétisant ses déficits et sa dette publique. C'est pour cela que dans les pays occidentaux, après l'épisode de stagflation des années 1970, les Banques centrales sont devenues indépendantes et interdiction leur a été faite d'acheter directement, sur le marché primaire, de la dette publique émise par leurs gouvernements respectifs. Le «quantitative easing» mis en œuvre par le Japon dans les années 2000, puis par les autres grandes puissances économiques après la crise financière de 2007, n'a rien à voir dans sa finalité et ses instruments avec la monétisation du déficit public. Donc, cela ne peut pas être considéré comme un bon choix. D'autant que cela remet en cause un acquis fondamental — et peut-être l'un des seuls acquis à ce jour — de la transition vers l'économie de marché amorcée en Algérie en 1989, à savoir l'autonomie de la Banque d'Algérie. Est-ce que le gouvernement avait le couteau sous la gorge ? On parle d'un déficit de 570 mrds DA à couvrir en 2017. Cela aurait très bien pu être géré par une émission obligataire exceptionnelle souscrite par les banques, quitte à abaisser leurs réserves obligatoires de 4% à 0% et à élargir les effets qu'il leur est possible de réescompter auprès de la Banque d'Algérie. Non, de toute évidence, le recours massif à la planche à billets est utilisé pour relancer une politique dispendieuse de dépenses publiques qui avait pourtant montré toutes ses limites. L'apurement de la dette de l'Etat vis-à-vis des entreprises de réalisation est une bonne chose, mais il aurait fallu en profiter pour restructurer l'ensemble du secteur du BTPH, en l'adaptant à la nouvelle donne de rareté des ressources publiques. C'est le choix inverse qui a été fait, essentiellement pour des raisons électoralistes. Plus on approche de 2019 et plus l'agenda politique dominera les considérations purement économiques, au détriment de la stabilité macroéconomique. - Le gouvernement a indiqué que la mise en marche de la planche à billets sera accompagnée par des réformes financières et économiques. Or, le premier budget du gouvernement Ouyahia maintient le même niveau de dépenses et ne fait référence à aucune réforme majeure. Y aurait-il une incompatibilité du discours avec les faits ? Comme je l'ai dit plus haut, nous entrons dans une période préélectorale. Aucun gouvernement au monde ne prendrait le risque d'engager des réformes structurelles dans une telle période, encore moins si ces réformes structurelles, comme celles des subventions et des transferts sociaux, risquent à court terme de déstabiliser un système clientéliste de redistribution de la rente, aussi inefficient ce système soit-il. C'est pourquoi le discours sur les réformes manque de crédibilité, et on le voit avec le projet de loi de finances 2018. C'est un retour à l'ancien modèle économique fondé sur la dépense publique et, inévitablement, sur les importations. Or, dans le contexte actuel, ce modèle ne produira qu'un surplus d'inflation et une accélération de la baisse des réserves de change. On ne peut pas «raser gratis» en économie. Tôt ou tard, les problèmes et les risques qu'on cherchait à masquer finissent par se manifester. L'illusion ne fonctionne qu'un temps. En l'occurrence, il s'agit ici d'un bien public qui s'appelle la stabilité macroéconomique et que les précédents gouvernements avaient peu ou prou réussi à préserver tout au long des années 2000. Quand certains évoquent des pays comme le Venezuela ou le Zimbabwe, c'est pour mieux attirer l'attention sur ce risque de dérèglement macroéconomique qui est bien réel. On ne peut pas jouer aux apprentis sorciers avec une population de 40 millions d'habitants. A quoi peut-on s'attendre, si l'Exécutif venait à traîner encore la patte face à l'impératif des réformes, alors qu'il semblait s'impatienter à faire tourner la planche à billets, tant les besoins sont d'ores et déjà pressants ? L'Exécutif a besoin de 570 milliards de dinars pour boucler le budget. D'où l'appel du Premier ministre à conclure les débats avant le mois de novembre. - Le gouvernement se donne un délai de cinq ans pour rétablir la viabilité des finances publiques par le moyen, entre autres, de la planche à billets. N'est-ce pas un exercice complexe compte tenu de l'extrême fragilité des comptes publics et de la détérioration des indicateurs macroéconomiques ? Il y a une contradiction dans les termes mêmes de cette proposition. Lorsqu'on s'habitue à une drogue, on en devient vite dépendant, et bientôt on ne peut plus s'en passer... jusqu'à l'overdose. Et c'est le cas avec la monétisation du déficit public. En effet, si la loi autorise un financement illimité du Trésor par la Banque d'Algérie, les défaillances et carences constatées dans la gouvernance publique, l'absence d'une réelle culture d'évaluation et de contrôle des comptes publics, et l'absence d'un système de «checks and balances» ou contre-pouvoirs institutionnels — tout le pouvoir étant en Algérie concentré entre les mains de l'Exécutif — pourraient transformer ce qui était conçu comme un dispositif exceptionnel, limité dans le temps, en une sorte de blanc-seing aux conséquences potentiellement dévastatrices. - Pour le gouvernement qui voulait éviter à tout prix l'endettement extérieur, celui-ci ne serait-il pas inévitable à moyen terme ? Le risque le plus important à court terme c'est celui d'un dérèglement de la machine macroéconomique. Dans ce cas de figure, par exemple, avec une inflation qui augmente beaucoup plus rapidement que prévu et échappe à tout contrôle, et/ou avec une érosion rapide des réserves de change liées à la relance des projets d'équipement sans contrepartie productive, l'endettement extérieur serait la conséquence ultime de ce dérèglement. Car il faudra alors à un moment donné changer radicalement de politique économique, en finir avec la planche à billets, dévaluer la monnaie et mettre en place un système de type «ancrage nominal» de la devise nationale. Mais on parle alors d'un recours au FMI qui imposera des conditionnalités très dures ! Paradoxalement, le maintien d'une position dogmatique sur l'endettement extérieur, l'ajournement des réformes structurelles et surtout la non-maîtrise des comptes publics pourraient hâter la mise sous tutelle de l'économie nationale, lorsque l'illusion se sera dissipée.