La controverse dépasse Langenthal où le projet a été déposé car un minaret peut en cacher beaucoup d'autres. Les gabarits sont solidement fixés sur le toit. « Vous voyez, vous voyez ! C'est notre minaret », jubile Ali, un Tunisien de 34 ans. La structure en bois culmine à plus de 5m de haut, au milieu de la zone industrielle de Langenthal, située dans le canton de Berne, où se trouve la mosquée Xhamia, modeste bâtisse jaune d'un étage. Depuis bientôt un mois, les profils du minaret prévus par ce centre islamique animent les discussions. Qui sont les musulmans de Langenthal derrière ce projet et pourquoi tant d'oppositions. Voyage au cœur du dossier chaud de la rentrée. A Langenthal, en ce vendredi, jour de la grande prière, Itmer, 25 ans, avance timidement et explique l'importance de ce symbole pour les 130 membres de l'association islamique Xhamia (mosquée en albanais) de Langenthal. « Nous cotisons tous pour l'aménagement de notre lieu de prière. Nous voulons le doter d'un minaret pour qu'il ressemble à une mosquée. C'est important pour notre communauté, mais on le fait aussi pour les musulmans de passage. En voyant le minaret, ils savent qu'il y a une mosquée ici », souligne-t-il. Haroun, 29 ans, enchaîne : « Par la volonté de Dieu, ce projet verra le jour. C'est Dieu qui décidera pour nous. » A l'Office des constructions de cette commune de 15 000 âmes, Urs Affolter, chef du service, ouvre le dossier 066-2006, en laissant échapper un long soupir. « Vous voyez le bloc 101A. Le projet de la mosquée est là, à trois ronds-points de la gare. Il s'agit du réaménagement d'un local en lui ajoutant sur le toit une coupole et un minaret de 5,98 m. Le dossier est correct et notre service le traite selon la procédure habituelle », précise Urs Affolter. Mais les adversaires du minaret ne voient pas la chose de la même façon. Pour eux, il s'agit d'un signe de l'expansion musulmane dans leur région. Depuis l'ouverture de l'enquête en juin 2006, une pétition contre la construction du minaret circule en ville. Plus de 2500 signatures ont été récoltées. L'Office de la construction a également reçu 77 oppositions. Et la résistance du comité Stopp Minarett ne faiblit pas. Le responsable de l'Office des constructions note que la procédure pour accorder le permis de construire va certainement prendre du temps. « La décision tombera probablement à la fin novembre ». Sans attendre le feu vert des autorités, la communauté islamique a déjà entamé le chantier. Les travaux sont d'ailleurs bien avancés. A l'extérieur, une benne bleue est pleine à craquer de débris. La principale salle de prière est sens dessus dessous. Les parois centrales ont été enlevées. Des poutres pour renforcer l'ossature du bâtiment ont été installées. Une poussière épaisse recouvre le tapis vert de la prière. Un escalier en construction va relier la salle de prière à la buvette et au centre culturel au rez-de-chaussée. Haroun, en bleu de travail, interpelle : « Il ne faut pas parler des travaux. Ça risque de nous poser d'énormes problèmes. On en a déjà assez avec toutes ces oppositions. » Il est 13h20, les fidèles affluent en grappes. Les « salam alaïkoum » fusent de partout. La discussion avec Haroun et ses compatriotes est stoppée net par l'appel à la prière. Une cinquantaine de fidèles se sont alignés derrière l'imam Abas Irfan. Ce dernier expédie la « salate » en deux temps, trois mouvements. Dans son prêche, pas un mot de la polémique. Dans la salle provisoire, les membres de la communauté islamique de Xhamia ne parlent pourtant que de ça. Pour l'imam Abas Irfan, la visibilité des symboles religieux fait partie de la liberté religieuse. « Tant que l'Islam reste invisible en Suisse, il alimentera les fantasmes. Pour sortir de l'ombre, les musulmans doivent se montrer », soutient-il. Derrière ses grosses lunettes, Habil, 50 ans, coupe la parole à l'imam et s'emporte : « C'est indigne pour la Suisse qu'une communauté religieuse comme la nôtre tienne encore son office religieux dans des caves. »Abas Irfan et Habil vivent en Suisse depuis 27 ans. Les deux, maçons de profession, disent avoir bâti une partie de Langenthal à la sueur de leur front. Et l'imam est amer, quand en 2005, un temple sikh a été construit à Langenthal, il n'y a presque pas eu la moindre opposition. « Maintenant que les musulmans veulent construire un minaret en PVC, et il s'agit juste de la structure, il y a une levée de boucliers et une tempête d'indignation au-delà de Langenthal. Je rassure tout le monde que nous n'allons pas installer de haut-parleurs pour l'appel du muezzin. Il s'agit d'un décor et si la commune nous ordonne de ne pas le construire, on s'adaptera. On peut vivre sans », explique-t-il. Face à la parole des sages, les jeunes restent cependant de marbre. Eux, ils sont prêts à en découdre avec les autorités pour avoir leur minaret. « Pour le moment, on leur demande de se tenir tranquilles », assurent les membres de l'association. Safer, Habil et l'imam se disent aussi touchés par l'image négative véhiculée par les médias. « Les journaux ont montré un minaret monstrueux comme on en a construit en Afghanistan. Des foyers ont reçu dans leur boîte aux lettres des tracts avec un minaret en forme de missile pour montrer que nous représentons un danger », explique Safer. D'une même voix, ils précisent que 90% des personnes qui fréquentent le centre islamique sont des Albanais. « Il n y a pas de cellule terroriste ici », se défendent-ils.