La mort de Mostefa Lacheraf est tombée comme un couperet. Hier dans son domicile à Clairval (Alger), une chape de tristesse enveloppait le lieu. Sa femme Souhila, très digne dans sa douleur, reçoit les condoléances. Elle nous raconte l'attaque cardiaque qu'il a eue le 21 décembre 2006 à l'aéroport Houari Boumediène alors qu'ils s'apprêtaient à faire un voyage. Il n'était pourtant pas cardiaque. Un accident vasculo-cérébral a fait basculer son destin. « Il a été hospitalisé le même jour et il est resté très lucide jusqu'à la dernière minute, à part quand il est tombé dans le coma à deux reprises. Il a beaucoup souffert. Je lui lisais les journaux et il recevait de la visite », témoigne-t-elle. Durant 21 jours, elle a dormi aux côtés de son mari jusqu'à hier à 11h36 où il a rendu l'âme au CNMS à Ben Aknoun, après « avoir passé une nuit atroce et épouvantable ». A notre arrivée, il y avait déjà les amis et quelques proches du défunt qui sont venus, par petits groupes, témoigner leur compassion. Vers 17h51, Khalida Toumi, ministre de la Culture, arrive. Mme Toumi serre dans ses bras la femme de Mostefa Lacheraf, les yeux embués de larmes. C'est un grand moment d'émotion ! Elle venait trois fois par jour le voir. Aujourd'hui, il n'est plus là. Il ne pouvait rien dire, il était torturé, car il se voyait partir. « Il n'arrivait pas à s'exprimer. L'Algérie perd un intellectuel immense. Tout le Maghreb le perd. Les ministres, qui étaient présents à l'occasion de la manifestation ‘‘Alger, capitale de la culture arabe 2007'', ont été ébranlés. Ils vivaient la destruction du pilier de la pensée maghrébine moderne. C'était un penseur pur et un cerveau qui fonctionnait à 1000 à l'heure. Il donnait tout le temps des analyses et des points de vue. Lacheraf nous manque déjà : il était une personnalité très attachante. » Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a été aussi très affecté en apprenant la triste nouvelle en montant dans sa voiture après avoir assisté à l'ouverture officielle de la manifestation « Alger, capitale de la culture arabe 2007 ». Selon Khalida Toumi, « le Président l'adorait. Il était d'une rectitude très difficile à suivre ». Elle nous raconte une histoire que le Président aime bien raconter à son sujet : « Le jour de ses noces en Argentine, où il était ambassadeur, il est allé faire ses courses et acheter les produits de sa poche. Quand on lui a fait la remarque, il a répondu : c'est mon mariage pas celui de l'Etat. » Boualem Bourouiba cache ses larmes derrière un visage fermé. Le syndicaliste et ami de Lacheraf affirme : « C'est une journée de tristesse. On se sépare d'un compagnon qui était pour nous un monument. On peut être fiers de l'avoir côtoyé. On a partagé des connaissances dans divers domaines. Il était un intellectuel algérien passionné. Nous l'avons connu dans les camps. Désigné comme ministre de l'Education nationale, cette nomination a été perçue comme un espoir, mais son mandat n'a duré qu'un an et demi. Nous l'avons connu aussi au Conseil consultatif national (CCN) à l'époque de Boudiaf en 1992. C'est une séparation douloureuse. » Si El Hachemi Troudi, un autre membre du CCN, nous déclare : « C'est une grande perte pour l'Algérie. Il laisse une situation déstabilisante politique, sociale et économique. J'espère que son livre Des noms et des lieux sera lu et relu et donnera matière à réflexion. »