Les Arabes ne maîtrisent pas leur propre histoire, contrairement aux Etats-Unis qui imposent aujourd'hui leur vision au monde entier. C'est le constat qu'ont établi les deux historiens invités jeudi dernier au forum Les Débats d'El Watan sur le thème « Les Arabes et le sens de l'histoire », organisé à l'hôtel Mercure, à Alger. Les Arabes sont-ils capables de rattraper ce retard ? Pour l'historien et professeur à l'université Mohammed V de Rabat, Abdeslam Cheddadi, qui estime que « la culture historique est faible chez nos élites », « les Arabes ne peuvent peser dans le monde, à l'avenir, que s'ils proposent leur propre vision ». M. Abdeslam a plaidé pour « un travail conceptuel, universitaire et de recherche scientifique » sur la culture arabe et musulmane permettant de construire une vision historique des Arabes. Une vision somme toute importante, selon le conférencier, pour la conception de la stratégie à suivre dans l'évolution du monde. Or, aux yeux de Abdeslam Cheddadi, « les difficultés des Arabes à concevoir les rapports avec le passé » hypothèquent leurs chances de s'intégrer dans la stratégie mondiale. Ces difficultés se situent, selon lui, au niveau de « la place qu'il faut accorder à la religion, la relation entre la politique et la religion, comment il faut faire évoluer les structures sociales et organiser le pouvoir ». Toutes ces questions, selon M. Cheddadi, « demeurent sans réponses suffisamment élaborées pour conduire la société vers un meilleur équilibre et une meilleure cohérence ». Le conférencier qui a tenté, dans son intervention, de justifier le rôle de l'« histoire » pour « la compréhension des enjeux contemporains », a aussi examiné les moyens permettant le dépassement de cette situation où « les Arabes subissent la vision stratégique » de l'Occident « qui possède les moyens nécessaires pour la leur imposer ». « Les Etats-Unis dominent le monde parce qu'ils ont créé les moyens », dit-il. « Aujourd'hui, nous ne pouvons pas proposer une histoire propre avec un seul langage », a-t-il indiqué, ajoutant qu'« il faut utiliser l'histoire comme un instrument pour baliser l'avenir ». Il est impératif que le monde arabe, a-t-il souligné, aille vers la maîtrise des outils scientifiques, en plaidant « pour la planification avec ces instruments ». Est-ce que cela veut dire que les Arabes ne s'intéressent pas à leur histoire ? Pour M. Cheddadi, « il ne s'agit pas seulement de s'intéresser à l'histoire, mais il faut trouver des outils adéquats pour le faire ». Pour ce conférencier, « l'histoire doit être étudiée non pas simplement comme une chronique qui rappelle des événements ». Il faut, selon lui, « étudier le processus historique, la façon avec laquelle les réalités historiques étaient reliées entre elles, appréhender l'histoire selon des modèles de fonctionnement d'une organisation sociale ou politique par rapport à la société, à l'économie et à la culture et créer un modèle ». L'historien algérien Houari Touati a plaidé, quant à lui, pour que les Arabes revoient leur relation par rapport à la culture occidentale. « Le modèle d'imitation proposé par les penseurs arabes de la période de la Nahdha (renaissance) brille par sa naïveté, car il est temps de revoir le rapport du monde arabe avec l'Occident, dans une optique intellectuelle mieux négociée », a affirmé M. Touati. Pour le conférencier, la thèse qui consiste à opposer « el assala (authenticité) à el asrana (modernité) résulte d'un discours biaisé », affirmant que « la véritable renaissance des Arabes » se trouve dans « l'expérimentation de l'histoire ». M. Touati a plaidé pour « une validation de la culture européenne par une vision critique », en prenant pour modèle ce qu'a fait l'Europe des « acquis du savoir », dont les Arabes étaient à l'origine dans le Moyen-Age. M. Cheddadi estime que les gouvernants du monde arabe ne jouent pas le rôle qu'ils doivent jouer pour dynamiser la société et la culture. « La société se trouve démunie de toute sorte d'éléments historiques et les gouvernants ne font pas leur travail », a-t-il ajouté. Pourtant, les Arabes et les musulmans d'une façon générale ont développé les courants les plus progressifs qui existaient dans l'ère de la civilisation. Ils ont, selon lui, joué un rôle majeur qui a porté l'humanité à un point d'épanouissement par la collaboration et le travail permanent de plusieurs générations, à la fois les gouverneurs mais aussi les classes savantes et les classes moyennes intermédiaires. Le conférencier regrette que les Arabes aient pris beaucoup d'espace par rapport au dogme. « Nous avons perdu le sens de l'historicité du dogme », a-t-il dit.