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« Le jeune est préparé à n'obéir à aucune règle, sinon à celle de la force » Slimane Medhar. Docteur en psychosociologie, professeur à la faculté des sciences sociales et humaines de Bouzaréah
Les proportions alarmantes qu'on prête au phénomène de la délinquance juvénile sont-elles d'après vous justifiées ? Je n'ai pas de statistiques en tête pour vous répondre clairement, ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a une insécurité générale. Est-ce qu'elle est liée à la délinquance juvénile ou pas, c'est à voir. Nous évoluons à travers une insécurité permanente. Pour ce qui est de la délinquance juvénile, elle est là, indéniable. Ce qui nous intéresse, ce n'est pas tant ses proportions, mais plutôt ses causes. Elles sont d'ordre familial, socio-familial et les repères sociaux qui balisent le comportement ne sont plus de mise. Il n'y a plus de respect ni de notion de voisinage. Les repères traditionnels, les valeurs, les traditions, le code de conduite étaient liés à une situation économique donnée, cette situation n'est plus ce qu'elle était alors que nous n'avons pas veillé à la mise en place des balises sociales, qui permettent à l'individu de se dire, ce qu'il peut ou ne doit pas faire. Actuellement, les jeunes évoluent à travers une délinquance insidieuse. La preuve, c'est le code de la route. Très souvent, les adultes qui d'abord au plan socioculturel étaient formatés aux valeurs traditionnelles de respect etc, qui ont suivi les cours de conduite, sachant donc ce qui est un sens interdit, or on le constate, ils le violent systématiquement, oubliant qu'ils ont leurs enfants avec eux… D'où tient-on à votre avis cette défiance au système, à l'ordre établi ? Ce refus délibéré d'observer des règles de conduite qui nous permettent d'être à l'aise dans la vie ne vient pas du ciel, ni du pouvoir, ni de l'Occident. C'est notre propre création. Il est d'ordre socioculturel. Il faut revenir à notre système social, d'organisation sociale traditionnelle. Ne faudrait-il pas voir en l'acte de nettoyer sa maison et de jeter les ordures par les fenêtres, une forme de délinquance ? Un enfant qui voit sa mère ou son père faire une telle chose, comment voulez-vous qu'il respecte l'environnement ou un voisin ? Le jeune individu est donc préparé à n'obéir à aucune règle, sinon à celle de la force. Il faut le dire : la responsabilité des parents, des adultes est amplement engagée. Je dirais également que le jeune a depuis toujours été exclu socialement. On le jette à l'extérieur, et il se débrouille en fin de compte. C'est ce que j'ai essayé de démontrer dans mon travail « Irak, miroir des Arabes ». L'enfant est dépossédé de son enfance, il ne vit pas comme un enfant, il vit pour les autres : il amuse la galerie, il fait le singe pour que les adultes rient, se détendent. Des adultes qui, eux-mêmes, n'ont pas eu d'enfance, ils le récompensent en lui donnant des petites piécettes et des bombons, et à partir du moment où il ne fait plus rire, il est jeté, bridé sauf s'il est malade, mais il n'est pas suivi, pas dans le sens de la surveillance, il n'est pas accompagné pour se préparer à l'avenir. La source du problème est là. Et tant que nous ne sommes pas revenus sur ce système, ce qui n'est pas évident, celui de s'interroger sur un certain nombre de questions, certains aspects sociaux pour constater que ce système est présent et effectif, il se complique et représente la source principale du problème. Il faudrait donc revenir sur ce système en termes d'éducation, de formation, en termes de prise en charge des enfants Il y a un risque qu'un tel phénomène débouche sur une explosion, une déstabilisation du pays … Ils ont un terreau favorable qui vient du comportement régulier des individus. Maintenant, est-ce que cela prépare une explosion sociale à la octobre 1988 ? Je ne peux pas vous le dire ; ce qui est certain, c'est que ce n'est pas de cette manière qu'on relève les défis, ce n'est pas avec cette impréparation des jeunes qu'on pourrait relever les défis du siècle, c'est avec une autre forme d'éducation, de formation scolaire, universitaire… La dynamique sociale telle qu'elle est actuellement ne permet plus aux jeunes de les absorber en termes d'emploi, de formation. Ce qu'il faut maintenant, c'est que les adultes se mettent à dégager de nouvelles perspectives de réflexion et d'action. La volonté des jeunes est anesthésiée par leurs proches. On leur explique qu'on ne peut rien faire dans ce pays. Ils entendent les gens plus âgés qui affirment cette certitude à tour de bras. C'est une manière de les décourager. Si quelqu'un, peu actif, se dit qu'on ne peut rien faire, il le dit, convaincu et fait tout pour partir. Pour un certain nombre de jeunes, le salut, c'est de partir à l'étranger. Ce n'est pas une issue réjouissante.