L'opposition libanaise semble appliquer à la lettre son programme de « riposte graduelle » ou de phases dans sa politique pour contrer le gouvernement de Fouad Siniora. Et hier, tout le pays en était affecté avec le blocage des routes, et même l'aéroport de la capitale. Mais il y a eu des blessés, preuve que rien ne s'est fait sans heurt. Mais tout se déroule comme prévu puisque les manifestations de l'opposition libanaise ne faiblissent pas, même si elles ne sont pas traitées de la même manière que d'autres qui se sont déroulées notamment en Europe. C'est là, il est vrai, une tout autre histoire qui n'a pas affecté le moral de tous ceux qui campent sur les principales places de Beyrouth depuis le 7 décembre dernier, et qui les réoccupent après avoir célébré les fêtes de l'Aïd El Adha et le nouvel an. C'est là leur particularité, celle de n'obéir à aucun clivage d'ordre confessionnel. Mais cette fois, l'opposition libanaise a avancé sur le terrain même du gouvernement libanais, elle qui était tenue en suspicion au moins de complicité ou de couvrir les assassinats, ce qui suppose qu'elle les connaît. Menée par le Hezbollah, celle-ci a tenu samedi un sit-in à Beyrouth pour, en effet, dénoncer la stagnation des enquêtes sur les attentats politiques qui ont visé des personnalités de la majorité gouvernementale. Un millier de personnes se sont rassemblées devant le palais de justice, exigeant sur leurs banderoles de « savoir pourquoi le gouvernement ne dévoile pas la vérité sur les assassinats politiques » et brandissant des portraits d'hommes politiques et de journalistes assassinés depuis 2005. Gébrane Bassil, cadre du Courant patriotique libre (du général Michel Aoun, allié au Hezbollah), a affirmé à la tribune que « c'est l'opposition qui veut la vérité sur ces assassinats, que les coupables soient arrêtés et punis, afin que le gouvernement cesse de les exploiter politiquement ». Toutefois, la famille Gemayel a qualifié le sit-in de l'opposition d'« exploitation honteuse » de l'assassinat de Pierre Gemayel, ministre assassiné en novembre. « Les actions folkloriques de l'opposition ne trompent personne et s'apparentent à une farce politique », affirme ce texte. Quinze attentats, imputés à la Syrie par la majorité parlementaire qui se qualifie elle-même d'antisyrienne, ont frappé le Liban entre octobre 2004 et novembre 2006 sans que la justice libanaise fasse état de progrès dans les enquêtes. L'enquête sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, en février 2005, est menée par une commission internationale sous l'égide de l'ONU, en coordination avec la justice libanaise. Premier à subir la pression de l'opposition qui entend agir sur tous les leviers, le Premier ministre libanais, Fouad Siniora, estime, quant à lui ,que la médiation entreprise par la Ligue arabe pour tenter de régler la crise au Liban était « la seule initiative sérieuse ». Cette initiative n'a jusqu'à présent pas abouti. Tout le monde est conscient que la « trêve » des fêtes de fin d'année est bel et bien terminée et qu'il faille agir vite. C'est le cas de M. Siniora tandis que l'opposition vient visiblement de lancer la deuxième phase de son mouvement de protestation. C'est donc sous le signe de « L'escalade progressive et graduée » que débute l'année 2007, comme l'ont assuré l'ancien ministre Talal Arslane et le chef du CPL, Michel Aoun, à l'issue de la réunion de l'opposition. Dans une conférence de presse, le général Aoun avait indiqué que « le mouvement ira crescendo » et qu'il « s'étendra à tous les ministères et touchera les centres vitaux du pays », sans toutefois donner plus de précisions. Dans ce contexte de crise, le général Michel Aoun avait appelé, en pleine manifestation, à la tenue d'élections législatives anticipées qui, selon lui, « ramèneraient les forces à leurs dimensions, et celui qui gagnera prendra en main les affaires du pays ». Parlant de cette dichotomie ou de cette règle non écrite qui consiste à classer les gens en fonction des idées qu'ils déclarent défendre, il a affirmé qu'« aujourd'hui, la campagne tendancieuse affirme que le général Aoun fait désormais partie de l'axe syro-iranien, et cette campagne émane des politiciens qui ont utilisé l'étranger contre les Libanais. Or je rappelle que le CPL est le seul à ne pas avoir mis à exécution une politique étrangère (...). » Après s'en être pris au président français Jacques Chirac, le général a pris position contre toutes les ingérences arabes, iranienne ou syrienne, dans la solution à la crise actuelle, plébiscitant une solution à 100% libanaise. « Nous, au sein de l'opposition, sommes une garantie contre le retour des ingérences étrangères », a ajouté Michel Aoun. Cela se veut comme une mise au point, mais celle-ci sera-t-elle définitive ? Rien n'est certain, car la bataille ne fait que commencer, et l'histoire retiendra qu'un de ses premiers enseignements, c'est le fait que les Libanais ont dépassé tous les clivages pour aller vers l'essentiel. Ce qui est d'une extrême importance, et qui devrait interpeller la classe politique, elle que l'on accuse souvent d'utiliser les vieux réflexes pour conserver le pouvoir. Et cela, remarque-t-on, agace les Libanais, marqués par des années de guerre civile et qui aspirent à la vie.