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Parution. Camus revisité
La pérennité d'une œuvre
Publié dans El Watan le 25 - 01 - 2007

Il y a 50 ans, Albert Camus recevait le prix Nobel de littérature. Nous y reviendrons. Ici, lecture à la fois enthousiaste et critique du livre que lui a récemment consacré Jean Daniel.
Il est difficile de séparer les deux figures, Albert Camus, prix Nobel de littérature, et Jean Daniel, militant de la liberté, deux écrivains-journalistes, Algériens, Franco-Algériens, ou Français d'Algérie, comme on les dénommait à l'époque, dont les destins se sont croisés. Jean Daniel, directeur de l'hebdomadaire le Nouvel Observateur, vient de publier un ouvrage qui fera date, intitulé Avec Camus, Comment résister à l'air du temps, éditions Gallimard 2006. C'est à la fois un récit, dans la tradition hagiographique, un livre d'histoire immédiate et un essai-témoignage qui se lit comme un passionnant roman. Les contextes de la trame sont multiples. Premièrement, celui « immoral de la colonisation », précise l'auteur. Deuxièmement, celui de la crise des idéologies et enfin, celui du règne du conformisme porté par le capitalisme. Comment expliquer, se demande Jean Daniel, la stupéfiante pérennité de l'œuvre d'Albert Camus ? Grâce au souvenir si vivace de ses rapports avec l'auteur de Sisyphe, l'homme révolté et l'Etranger, qui était directeur du journal Le Combat, puis collaborateur à l'Express, Jean Daniel, en journaliste et intellectuel qui ne cesse de réfléchir sur le difficile et passionnant métier de journaliste, à la lumière des défis de l'heure et de la modernité, propose de nous faire découvrir une éthique du journalisme et une vision du monde qui s'oppose à l'air du temps. Démarche salutaire, car notre sombre et dure époque est compliquée par les jeux troubles que certains acteurs du redoutable quatrième pouvoir pratiquent ou subissent à travers le monde. Jean Daniel réussit à nous faire redécouvrir une vision originale, une morale qui s'oppose à la fois aux va-t-en-guerre, aux politiciens et au moralisme. La ligne de Camus est celle d'un solitaire solidaire, parfois déroutante ou marquée par des limites, notamment à nos yeux d'Algériens qui légitimement n'avons pas admis son fameux : « Je préfère ma mère à la justice. » Jean Daniel écrit : Camus a été certainement le premier, dans ce XXe siècle, à avoir prophétisé l'époque où l'on ne pourrait plus se réfugier dans les projets d'avenir, où l'on ne pourrait plus s'adosser aux modèles du passé… où l'on serait obligé d'avoir une vie verticale, avec une lucidité constante et quasi inhumaine sur un destin qui se joue à chaque seconde ». Ne pas considérer l'autre comme ennemi est un principe fort des deux journalistes écrivains. C'est ce qui devrait lier tous les êtres de bonne volonté. L'Algérie belle et rebelle, comme dit le poète, leur terre natale, une et multiple, comme pour d'autres grands esprits, tels Jacques Berque et Jacques Derrida, a marqué leur vie, leur pensée et leur rapport au monde. Jean Daniel s'interroge sur l'attitude de Camus, ce génie du roman moderne, mais non point philosophe, marquée par une forme de désespoir de vivre, de révolte, d'absurde, qui n'est pas le contraire de la croyance, décrivant les hommes pas heureux, mais disant : « Il faut imaginer Sisyphe heureux. » La conception tourmentée de Camus au sujet du sens de la vie, et du caractère bon ou mauvais des hommes, selon les circonstances, traverse son œuvre. Pour Camus, nous dit Jean Daniel, « l'innocence, c'est la nostalgie d'un manque ». Il révèle un écrivain lié à Gide et qui puise sa confiance en l'humain, et son inspiration originale dans nombre d'auteurs du XIXe siècle, comme Dostoïevski. Les idées, les positions et l'écriture de Camus restent, en effet, à redécouvrir, tant pour en tirer des leçons toujours d'actualité, que pour les critiquer, les interpréter, les remettre à l'ordre du jour, comme le fait le directeur du Nouvel Observateur. Au regard de la guerre de Libération nationale, Albert Camus, journaliste engagé, ne préconisait pourtant pas, contrairement à la position de Jean Daniel, une négociation avec le FLN, mais une trêve, tout en recherchant une formule de cohabitation entre les différentes communautés. Cependant, il ne croit plus, nous dit Jean Daniel, à : « L'Algérie française… notamment depuis les événements de Sétif et de Guelma… ». Il s'opposait au racisme, à tous les ultras, à toutes les violences, au colonialisme rapace qui appauvrissait le peuple, car sa condition sociale de fils d'ouvriers très modestes, vivant à Belcourt, ne pouvait le placer au côté des exploiteurs. Jean Daniel nous dit : « Camus recherchait, et avec quelle angoisse, une position juste dans le drame algérien. » Camus, précise-t-il : « Veut que la guerre s'arrête, qu'une solution intervienne pour maintenir des liens étroits…. » Plus encore, Jean Daniel, qui utilise parfois une terminologie qui peut dérouter, ou que nous ne partageons pas toujours, et c'est un autre débat, nous restitue de manière fort émouvante et explicite des paroles profondes de Camus au sujet du peuple algérien musulman : « La vitalité et la force de la personnalité musulmane en Algérie. Je ne l'ai jamais pour ma part ni sous- estimée, ni méprisée. Au contraire. » La force de Camus s'exprime avec éclat, de manière exemplaire, témoin et non point juge, nous raconte Jean Daniel, dans l'écriture journalistique, dans le métier d'informer, sans rien concéder aux pressions de toutes natures, aux dérives et aux intérêts étroits : « Le journalisme est le plus beau métier du Monde », avait écrit Camus. Un journalisme qui bannit toutes les formes de mensonges et de servitudes, une vocation à l'information critique pour donner à penser, sans jamais flatter le goût à la paresse, à la démission et à la vulgarité. C'était l'époque de l'écrivain journaliste engagé, guide et porteur de messages. En ces temps où certains dans le monde hurlent avec les loups, participent au retour de la haine raciale et religieuse, montant les peuples les uns contre les autres, alimentant la propagande du choc des civilisations, se souvenir de l'idéal de Camus et comprendre le noble métier d'informer reste instructif, pour les journalistes, mais aussi les acteurs de la vie intellectuelle et politique, de tous les pays, attachés à la démocratie, c'est ce que nous rappelle ce livre pédagogique de Jean Daniel.

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