« Si on doit s'enfuir à chaque fois qu'on entend des tirs, on ne fera que courir, parce que ça n'arrête pas » L'armée israélienne fait pression sur Ariel Sharon pour éviter des pertes dans ses propres rangs. Pour parcourir en voiture la distance entre le centre-ville de Ghaza et le camp de réfugiés de Jabaliya, il ne faut pas plus de 15 minutes. Depuis le 28 septembre qui a vu le commencement de l'opération militaire israélienne « Jours de repentir », focalisée justement sur ce lieu, ces 15 minutes vous séparent, en fait, d'une atmosphère relativement calme, où on entend des échos de tirs et d'explosions qui viennent de loin, d'une autre, très tendue, où la mort vous guette à n'importe quel endroit. Avec ses 100 000 habitants, le camp de Jabaliya d'une superficie de 1 km2, est depuis cette date la zone la plus risquée des territoires palestiniens. Près d'une centaine de personnes ont été tuées depuis, à l'intérieur et à la périphérie. Le camp est assiégé de trois directions. Seule la route qui mène vers Ghaza-Ville au sud est encore libre. Sitôt arrivé aux abords, un sentiment de crainte de ce qui peut vous attendre à l'intérieur vous envahit. Heureusement, et pour cause, cette situation commence à changer très lentement, avec les premiers mètres parcourus, dans les limites connues de cet endroit. La chose qui frappe le plus est sûrement de voir autant de monde dans les rues qu'on imagine, à tort, désertées par les citoyens. Dans cette partie sud du camp, à part certaines barricades, la situation semble normale. Les magasins sont ouverts, il y a même des enfants qui jouent au ballon dans la rue, sans paraître se soucier de ce qui arrive quelques centaines de mètres plus loin. Si vous n'êtes pas un habitant du camp, être accompagné d'une personne originaire du coin peut vous éviter d'être abordé et questionné sur votre identité et la cause de votre présence dans ces lieux, par de simples citoyens ou par des membres de la résistance, visibles à tous les coins de rue. L'existence, révélée pendant les derniers événements, de quelques collabos s'est répercutée sur le comportement des Jabalis. Au fur et à mesure que vous vous enfoncez vers le nord et vers l'est du camp, le paysage commence à changer. Les voitures deviennent plus rares, les rues sont moins animées, les décombres de certaines maisons, détruites par les agresseurs, apparaissent au loin. Avec mon compagnon qui connaît très bien le lieu, on a décidé de continuer notre parcours à pied. La première étape était la rencontre avec une figure connue de la résistance. Sur notre chemin, nous sommes passés près de deux chapiteaux, montés dans le but de permettre aux gens de présenter leurs condoléances aux familles de deux jeunes du camp, récemment tués par l'armée israélienne. Dans les territoires palestiniens, ce rituel qui dure pendant trois jours après la mise en terre du mort est très largement suivi. Une autre chose qui attire l'attention de tout visiteur est ce contraste entre des rues très larges qui traversent le camp de long en large et des ruelles très étroites, entre des maisons vétustes qui, par endroits, ne permettent le passage qu'à une seule personne. Pour arriver à notre but, nous avons dû emprunter quelques-unes de ces ruelles qui constituent un véritable labyrinthe. C'est à ce niveau que nous avons rencontré le plus d'hommes armés.Toutes ces ruelles ont désormais une toiture faite de draps, de couvertures ou de n'importe quel autre tissu. Les résistants et les habitants ont pris cette initiative dans le but d'échapper aux drones, ces avions espions téléguidés, aussi tueurs de Palestiniens depuis qu'ils sont armés de missiles. L'équilibre de la terreur Enfin arrivés, l'homme en question nous a accueillis avec un large sourire. Il avait l'air détendu et serein. En commençant à parler des roquettes artisanales lancées contre le territoire israélien, nous sommes entrés dans le vif du sujet : « Nos roquettes ont en fait humilié l'une des plus puissantes armées du monde. A part Saddam Hussein et le Hezbollah du Liban, quel est le pays arabe qui a pu atteindre avec ses armes le territoire israélien ? Nos roquettes qui arrivent aujourd'hui à Sderot pourront atteindre prochainement des objectifs plus éloignés. Avec ces armes primitives, nous avons réussi à établir un équilibre de la terreur avec nos ennemis. Sharon a toujours promis de garantir la sécurité individuelle de ses concitoyens. A-t-il réussi ? La réponse est non. Jusqu' à ce jour, malgré la présence toute proche des forces israéliennes, les résistants réussissent toujours à les lancer, parfois c'est vrai au prix de leur vie. Sharon et son armée ont les moyens de pénétrer dans le camp, mais leur action se limite à certaines périphéries. Ils savent que chaque mètre carré occupé du camp leur coûtera très cher, ce qu'ils ont rencontré dans le camp de Jénine est de la rigolade, comparé à ce qui les attend ici. Le camp de Jabaliya est un symbole de la volonté de résistance des Palestiniens. Nous ne permettrons ni à Sharon ni à son armée de la briser. Si on veut jouir d'une véritable indépendance, croyez-moi, la résistance est notre seul moyen. » En quittant cet homme très confiant en l'avenir, qui figure probablement sur la liste des assassinats ciblés israéliens, on ne peut s'empêcher de penser qu'on l'a peut-être vu pour la dernière fois. Des pertes élevées Avant de quitter le camp, j'ai demandé à mon compagnon de me montrer les zones où ont été déployés les chars israéliens. Sur le chemin, un hélicoptère d'assaut israélien a surgi brusquement dans le ciel. Il a commencé à tirer, l'espace de quelques minutes, pour disparaître comme il était venu. Les passants ne se sont même pas donné la peine de s'abriter. Chacun poursuivait son chemin. Je me suis approché d'un groupe d'enfants qui jouaient à proximité. A la question : « Pourquoi vous ne vous êtes pas enfuis ? », des rires ont fusé du groupe. Omar, un enfant de 11 ans, me dit en souriant : « Si on doit s'enfuir à chaque fois qu'on entend des tirs, on ne fera que courir, parce que ça n'arrête pas. » Ayant eu le sentiment d'avoir posé une question pas très intelligente, j'ai demandé à mon compagnon que l'on poursuive notre chemin. Il m'a conduit vers la zone des écoles, toute proche du marché où 9 personnes ont été tuées par les éclats d'un obus de char, au début de l'agression. Une partie des écoles était détruite. Depuis, les enfants vont dans d'autres écoles du camp, plus sûres. C'est dans cet endroit, le plus proche des forces israéliennes distantes, d'après mon guide, de 200 m environ, que j'ai vu le plus de préparatifs à une éventuelle bataille décisive. Des dizaines d'hommes armés, pour la plupart cagoulés. Beaucoup de charges explosives. On les devinait par les fils électriques qui servent à les activer. Les résistants nous ont recommandé de rebrousser chemin car le danger de se faire tirer dessus devenait réel. Après trois heures passées dans le camp, l'on en repart avec la conviction que seul un massacre à grande échelle permettra aux forces israéliennes de le contrôler. L'avenir proche nous dira si Sharon et son gouvernement sont prêts à payer le tribut d'un tel acte. En tout cas, l'état-major israélien l'a fait savoir au Premier ministre israélien : rester à Ghaza est une opération risquée pour les soldats israéliens. L'armée israélienne, ont déclaré les officiers israéliens à Sharon, va au-devant de pertes élevées. C'est la seule raison pour laquelle il lui a été demandé de mettre fin à l'attaque lancée il y a quinze jours.