André Darmon est directeur de la publication et rédacteur en chef du journal Israël Magazine basé à Jérusalem. Dans cette interview, il a abordé, entre autres, l'état de santé du Premier ministre Ariel Sharon, la question de la succession et l'avenir du conflit israélo-palestinien. Quelles sont les dernières nouvelles concernant l'état de santé du Premier ministre Ariel Sharon ? Le point de presse effectué par le directeur de l'hôpital Hadassa de Jérusalem à 18h après Chabat, soit samedi soir, notait un léger mieux et indiquait que le cerveau gauche n'avait pas été touché, ce qui suppose que le cerveau droit, lui, l'était et assez sérieusement. Aussi pour être concis, Ariel Sharon pourrait tout à fait reparler mais perdre à la fois le raisonnement et la capacité d'imagination, ces derniers étant l'apanage du cerveau droit. Il a de fortes chances de rester hémiplégique. Aussi, Ariel Sharon, s'il survit, ne pourra plus être autonome, et à plus forte raison ne pourra occuper un quelconque poste politique. Quel est le climat qui règne actuellement en Israël depuis son hospitalisation ? C'est un climat de recueillement et d'attente qui règne en Israël, car quelle que soit la position politique de chacun, Ariel Sharon était toujours perçu comme l'un des héros des guerres d'Israël et l'homme qui faisait ce qu'il disait, même si cela ne plaisait pas forcément. A aucun moment l'image fabriquée par les médias européens et arabes de l'homme soi-disant responsable de Sabra et Chatila où des chrétiens ont assassiné des musulmans, n'est apparue. Que prévoit la loi israélienne en cas d'incapacité du Premier ministre ? En cas d'incapacité du Premier ministre, la loi israélienne prévoit son remplacement, pendant 100 jours, par le vice-Premier ministre, en l'occurrence Ehoud Olmert. Au 101e jour, le gouvernement sera dissous et le président de l'Etat devra confier à l'un des 120 députés le soin de former, dans les 14 jours suivants, un nouveau gouvernement, avec une possibilité d'extension de deux semaines supplémentaires. Y a-t-il un risque de report des élections prévues pour le mois de mars prochain ? Selon la loi israélienne, le scrutin du 28 mars peut être reporté si une majorité de 80 députés se prononce en ce sens. Cependant, le président du Parlement, Reuven Rivlin, pense qu'il faut absolument maintenir la date des élections et élire un nouveau Premier ministre. Cliniquement, il est vrai, Sharon n'est pas encore mort, mais politiquement il appartient déjà au passé. Est-ce que la guerre de succession est d'ores et déjà ouverte ? Si Ariel Sharon était resté au Likoud et s'il s'était trouvé dans l'état de santé où il se trouve actuellement, la guerre ouverte entre barons du Likoud aurait été terrible. Mais dans son nouveau parti, les places se sont décantées naturellement et Ehoud Olmert bénéficie et de sa position de Premier ministre par intérim et d'une image plus forte que celle d'une Tsipi Livni ou d'un Shimon Peres au bord de la retraite. La seule interrogation concerne Chaoul Mofaz, l'actuel ministre de la Défense que j'ai rencontré, qui semblait être le dauphin légitime de Sharon au Likoud et qui, passé à Kadima, revendiquera mais faiblement sa succession. Je ne crois pas à des conflits. La bataille pourrait faire rage ailleurs si le crédit qu'accordent les électeurs à Sharon se diluerait sitôt sa disparition politique et physique constatée. Il y aurait alors un rééquilibrage des 3 forces politiques, en tête dans les sondages, Likoud, Kadima, Travaillistes (sur les 75 mandats qu'ils se partagent actuellement) et de sacrés marchandages politiques pour recueillir une majorité parlementaire et partant, la place de Premier ministre qui revient à celui qui peut recueillir cette majorité. Quel sera le sort de la Kadima en cas, justement, de disparition de son fondateur ? Le concept d'un parti de centre droit et d'un parti de centre, tout court, n'est pas une nouveauté en Israël mais avait toujours échoué. Ce concept avait bénéficié avec Sharon de son aura et de sa relative réussite dans le processus de désengagement. A court terme, donc pour les législatives de mars, Kadima perdra en cas de disparition de Sharon, certainement beaucoup de voix, mais restera largement concurrentiel pour pouvoir désigner un Premier ministre. A long terme et si Kadima ne prend pas le pouvoir, sans édification de bases militantes, d'agences locales, de ramifications municipales et régionales, il serait condamné. Y a-t-il un risque de trouble en Israël en cas de décès de Sharon ? Non, pas plus que qu'il n'y en a eu pendant l'évacuation de la bande de Ghaza. Contrairement aux factions terroristes palestiniennes, comme le Hamas et le Djihad islamique qui prennent le pas sur l'Autorité palestinienne, les extrémistes israéliens sont minoritaires et l'armée est une armée du peuple, démocratique. Le peuple juif est un peuple mûr qui, comme je l'ai écrit, est un peuple qui a plus de 4000 ans. Et il sait que la souveraineté politique n'est pas très loin de la légitimité divine. Quel sera l'avenir du conflit israélo-palestinien après Sharon ? Tout dépendra bien évidemment de la personne nommée Premier ministre le 29 mars. Si c'est Ehoud Olmert, il continuera la voie tracée par Sharon et mettra en place les plans de désengagement limité de Judée Samarie. Olmert, cornaqué par Mofaz qui sera toujours ministre de la Défense, ne fera pas de concessions au niveau militaire, et les réactions aux actions terroristes garderont leur ampleur et, dans la Bande de Ghaza et en Judée Samarie. Si c'est Peretz, le leader travailliste qui était porté aux affaires, on peut s'attendre à un plan plus large de désengagement et des troubles sérieux de la part d'habitants plus revêches que ceux qui habitent le Gouch Katif et la Bande de Ghaza. On pourra s'attendre, avec lui, à de moindres répliques militaires avec à la clé un nouvel embrasement car il s'est toujours avéré, à contrario, que les factions palestiniennes avaient réclamé des trêves quand la pression militaire israélienne se faisait plus forte. Quant à Benyamin Netanyahou, je pense qu'il voudra faire sentir sa différence avec Ariel Sharon et relancer la Feuille de route qui prévoyait après le désengagement le désarmement des milices palestiniennes. Comme celles-ci ne la respectent pas, on peut s'attendre à un enlisement du conflit dans les 3 cas de figure. Le premier, parce que les Palestiniens, avec Olmert, réclameront encore plus que ce qu'il voudra leur accorder, le deuxième, parce que, si c'est Peretz, la faiblesse de la réponse militaire israélienne entraînera une escalade palestinienne et des heurts sérieux entre les deux populations qui sont imbriquées en Judée Samarie contrairement à la Bande de Ghaza où elles vivaient de part et d'autre des barbelés et des barrières. Et qu'en est-il du troisième cas ? J'y viens. Avec Netanyahou qui opposera une fin de non-recevoir à des retraits supplémentaires et qui se retranchera comme il l'a promis, devant le jugement populaire au moyen de référendums. Je ne suis pas optimiste mais pas plus que je ne l'étais d'ailleurs avec Sharon au pouvoir. En effet, tout le monde a pu constater qu'une concession d'une ampleur comme celle de l'évacuation de la Bande de Ghaza n'a pas apporté la stabilité dans la région car le conflit n'est pas territorial. Il est très certainement ethno-religieux et surtout existentiel.