C'est une évidence. L'Algérie, de par sa taille, sa situation géographique, l'étendue de son littoral et de son désert, la diversité de ses paysages, a d'immenses potentialités en matière touristique. L'amélioration des conditions sécuritaires et l'embellie économique que connaît actuellement le pays devraient favoriser le développement d'investissements nationaux ou internationaux dans le secteur touristique à moyen et long termes. L'essor du tourisme dans le sud du pays, le retour de compagnies aériennes internationales, l'ouverture du nouvel aéroport international à Alger et les projets d'investissements annoncés par les géants du secteur de l'hôtellerie sont des signes forts d'un décollage prochain de cette activité. A l'heure actuelle, ces potentialités demeurent encore largement inexploitées. L'Algérie souffre entre autres d'un déficit en termes de capacités d'accueil, de structures hôtelières et de restauration de qualité et d'un manque de qualification des personnels du secteur. Le ministère du Tourisme a lancé, en 2004, une stratégie de développement durable du secteur du tourisme vers 2013 avec différents objectifs affirmés, dont la valorisation des potentiels naturels et culturels, l'amélioration de la qualité des prestations et de l'image touristique de l'Algérie et la réhabilitation des établissements hôteliers et touristiques. Le tourisme n'est pas toujours synonyme de richesse Derrière l'ambition affichée, il y a bien sûr la volonté d'exploiter les ressources inestimables à même d'engranger des devises que le pays peine à attirer hors secteur des hydrocarbures. Cependant, et indépendamment de cela, le tourisme est un secteur à part et les pays qui favorisent son extension comptent sur une dynamique d'entraînement sur l'ensemble des autres secteurs de l'économie. Le tourisme est en effet censé avoir des effets externes stimulants sur un grand nombre de secteurs (travaux publics, transport, mobiliers, artisanat, agroalimentaire…). Ces effets positifs devraient engendrer de la croissance et favoriser le décollage économique. En dépit de cette conviction assez bien partagée par les économistes, il n'est pas déraisonnable de reposer le débat et de voir les conditions pour lesquelles cette conviction est effectivement économiquement fondée. Il est par exemple légitime de se demander s'il ne faut pas une limite à l'activité touristique en raison des pressions exercées par cette activité sur l'environnement naturel, culturel, et par conséquent sur les ressources, les structures sociales, les modèles culturels, les activités économiques et l'utilisation des terres. La question de la réallocation de la terre des activités traditionnelles (agriculture) vers le secteur touristique se pose également de manière cruciale pour l'Algérie qui a aussi une vocation agricole à valoriser dans l'avenir. Il y a donc matière et nécessité à débat. Le tourisme n'est pas, automatiquement, la solution miracle au sous-développement économique. Le tourisme peut même conduire dans certains cas à l'appauvrissement de l'économie. Cette situation peut survenir par exemple à l'issue de la pression exercée sur certains biens locaux de consommation courante qui peuvent devenir rapidement trop chers et donc inaccessibles pour les résidents à revenus moyens ou faibles. Il peut s'agir des produits alimentaires, du transport, des loisirs (musées, parcs, spectacles, restaurants…), du foncier, du mobilier, des matériaux de construction, etc. Cet enrichissement peut être la conséquence de la demande émanant des touristes étrangers, dont le pouvoir d'achat est généralement plus élevé que celui des résidents. Ce risque peut être évité ou atténué par une bonne politique économique (elle existe) qui protège ces biens locaux non échangeables de spirales inflationnistes. Les risques évoqués ne doivent pas cependant alimenter un pessimisme tout aussi dogmatique que l'optimisme affiché par les partisans du tout tourisme. Le tourisme peut générer une dynamique de croissance à condition que les pays en développement augmentent leur capacité structurelle et organisationnelle à capter le maximum de dividendes de cette activité. L'activité touristique peut, en effet, profiter à un large panel de secteurs (agriculture et industrie alimentaire, industrie de fabrication de meubles, matériaux de construction et travaux publics, artisanat, équipements destinés aux établissements touristiques, transport, services financiers…), pourvu que ces derniers soient préparés à répondre à la demande qui s'y exprime. Dans le cas contraire, le pays est contraint d'importer intensivement les produits liés à cette demande et peut compromettre ses chances de profiter des retombées économiques de cette activité. Pour résumer, le tourisme induit donc une entrée de ressources financières étrangères mais aussi des sorties de ressources, que l'on appelle communément « fuites ». L'« effet fuite » est le processus par lequel une partie des revenus en devises étrangères apportées par le tourisme n'est pas retenu par les pays d'accueil. Lorsqu'elles dépassent un certain seuil (variable selon la caractéristique économique du pays), ces fuites peuvent neutraliser l'effet financier positif du tourisme international. D'une manière générale, les fuites liées aux importations touristiques dans les pays en développement sont souvent inférieures aux fuites des autres activités économiques, ce qui confirme bien que le tourisme représente un choix judicieux en matière de stratégie de développement. Une faible préparation des pays à la captation de la demande du secteur ou le choix de stratégies touristiques myopes peuvent conduire malheureusement à des déceptions. C'est ce qui apparaît aujourd'hui au vu de l'expérience des pays sud-méditerranéens et dont l'Algérie devrait s'inspirer pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Commettre les mêmes erreurs peut aboutir, via un déterminisme qu'il nous faut certes nuancer, aux faiblesses et aux vulnérabilités de demain. Cet article est donc un essai de prospective, l'Algérie n'étant pas encore à une phase de bilan, mais plutôt de définition de choix stratégiques futurs. Inégalité entre les deux rives de la méditerranée Le secteur touristique du bassin Sud de la Méditerranée : insuffisance relative des flux touristiques et des recettes engrangées. L'observation aujourd'hui des performances et contre-performances des pays sud-méditerranéens peut nous renseigner sur les erreurs qu'il faut éviter au moment où l'on construit sa stratégie de long terme. Un premier constat : les chiffres mettent en évidence aujourd'hui une inégalité de répartition des flux non seulement entre le Sud et le Nord méditerranéen, mais également entre les pays de la rive Sud. On peut dire de façon générale, même si le propos doit être légèrement nuancé selon les pays, que la rive Sud de la Méditerranée souffre encore, et malgré les progrès réalisés, d'une insuffisante attractivité touristique internationale. L'Algérie a accueilli, en 2003, 1,166 million de visiteurs, soit une augmentation de 18% par rapport à l'année 2002. Les régions de provenance des touristes sont principalement l'Europe (51,4% des arrivées de touristes internationaux en 2003) et l'Afrique (36,7% des arrivées en 2003). Les pays de provenance des touristes sont principalement la France (plus de 69% des touristes européens), le Maghreb, la Libye, la Syrie et l'Egypte. Les analyses des flux touristiques en direction de l'Algérie font ressortir qu'une très grande proportion de visiteurs (près de 74%) est constituée d'Algériens établis à l'étranger. Le nombre d'étrangers venant en Algérie dans un cadre purement touristique reste donc faible. Par ailleurs, les données relatives aux recettes nous renseignent sur les faibles montants en devises, générés par l'activité touristique qui n'atteignent en 2003 que 112 millions de dollars US, par an pour l'Algérie, alors qu'ils dépassent 1 milliard de dollars au Liban pour un nombre de visiteurs inférieur (1,016 million contre 1,166 million en Algérie). Bien d'autres pays de la rive Sud attirent un nombre relativement important de touristes sans que la recette correspondante soit à la hauteur du flux généré (sauf la Turquie et aussi, dans une moindre mesure, l'Egypte). La raison tient beaucoup à la spécialisation dans des produits de bas ou moyen de gamme (essentiellement le balnéaire) qui ne permet pas de capter la frange de touristes la plus dépensière, cela s'ajoutant à une politique de promotion insuffisamment éclairée. On note en particulier l'absence d'une approche stratégique « portefeuille par nationalités ». Cette approche, inspirée de la théorie financière, consiste à fonder la politique de promotion de la destination en fonction de deux critères : (i) le comportement de dépense de la clientèle de chaque nationalité (dans le pays ciblé) et, (ii) le risque attaché à chaque catégorie de clientèle (chocs futurs sur la demande en raison de contingences politiques, économiques, etc.). (A suivre) N. B. : 1) Cet article s'inspire des résultats d'une étude récente que l'auteur a effectuée pour l'Agence française de développement (Paris) en collaboration avec Riadh Benjelili (Arab Planing Institute, Koweit-City). L'étude aussi bien théorique qu'empirique a visé un certain nombre de pays du sud de la Méditerranée (Algérie, Tunisie, Maroc, Liban, Egypte, Turquie, Syrie, Libye). 2) Correspondance : [email protected]. L'auteur est Maître de conférences à l'Université Paris II et chercheur INRA