Il y avait grande foule hier matin au tribunal de grande instance de Paris. Certains caricaturistes de Charlie Hebdo n'ont pas pu entrer dans la salle d'audience. Côté plaignants, c'est le grand désert. L'Union des organisations islamiques de France (UOIF), la Grande Mosquée de Paris et la Ligue islamique mondiale poursuivent l'hebdomadaire satirique pour « injures publiques envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion », incrimination qui vise la société d'édition et son directeur de publication, Philippe Val. Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris et président du Conseil français du culte musulman (CFCM), ne s'est pas rendu au tribunal où il s'est fait représenter par son avocat Me Francis Szpiner. Les deux autres organisations étaient également représentées par leurs avocats. « Une dérobade », selon la défense de l'hebdomadaire. Il faut dire que les organisations islamiques se trouvent confrontées à plusieurs contradictions. Les dessins ont été publiés dans de nombreuses publications, ont été montrés par plusieurs chaînes de télévision et de nombreuses personnalités intellectuelles et politiques ont apporté leur soutien à Philippe Val, le directeur de Charlie Hebdo. Or, pourquoi, seul ce journal est-il poursuivi et pas les autres ? Les plaignants ont été complètement déstabilisés à l'ouverture du procès affiché d'une des bêtes noires de Charlie Hebdo, le candidat de l'UMP à la présidentielle et ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui a défendu « la liberté de sourire de tout » dans une lettre lue à l'audience par son avocat, Me Georges Kiejman. « Je préfère l'excès de caricatures à l'absence de caricatures », souligne le candidat ministre. Pour Philippe Val, qui parle de procès médiéval, « il s'agissait d'une critique de la religion en tant qu'idée, mais en aucun cas elle n'exprimait un mépris quelconque envers les croyants d'une foi quelconque ». Sur les trois dessins visés par la poursuite, deux publiés initialement au Danemark par Jyllands-Posten montrent pour l'un le Prophète Mohamed avec une bombe dans son turban et pour l'autre, toujours le Prophète accueillant des kamikazes au paradis déclarant : « Stop, on est à court de vierges ». Le troisième dessin attaqué, œuvre de Cabu et publié en couverture de Charlie, montre, avec un titre « Mahomet débordé par les intégristes », le Prophète qui se voile les yeux et dit : « C'est dur d'être aimé par des cons. » Les contradicteurs de Philippe Val ont insisté sur le dessin représentant le Prophète avec une bombe dans le turban, soulignant que Libération avait refusé de le publier. « S'il s'agissait de s'en prendre aux terroristes, n'aurait-il pas été plus judicieux de choisir de caricaturer Ben Laden ou le mollah Omar ? », a demandé l'avocat de la Ligue islamique mondiale. Me Francis Szpiner, avocat de la Mosquée de Paris, a souligné que Charlie Hebdo, qui s'y était pourtant engagé, n'avait pas emprunté la même démarche concernant les dessins issus d'un concours organisé en Iran sur l'holocauste des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, le bureau exécutif du Conseil français du culte musulman (CFCM) devait tenir hier soir une réunion « exceptionnelle » à propos du soutien apporté à Charlie Hebdo par Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur et du culte, également candidat médiatique de la droite au pouvoir. Dans l'entourage de M. Boubakeur, on ne cache pas que « la question d'une démission en bloc du CFCM sera posée ».