Le mouvement des Indigènes de la République, animé par des Français d'origine immigrée, a dénoncé un “racisme démocratique” et “un consensus raciste” qui s'est, selon lui, exprimé à l'occasion du procès. Il faut juste espérer que le constat découlant du procès intenté à l'irrévérencieux hebdomadaire donne lieu à un recentrage définitif. Il faut savoir que ce procès a créé la polémique dès son ouverture mercredi, un message inattendu du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy suscitant la colère d'organisations musulmanes. Créant la surprise, l'un des avocats de Charlie Hebdo a lu à l'audience un message de soutien du ministre de l'Intérieur, également ministre du Culte et candidat à la présidentielle d'avril-mai. Il a salué un propos qui s'inscrit, selon lui, “dans une vieille tradition française, celle de la satire”. Remarquant avoir été “très souvent la cible privilégiée” de Charlie Hebdo, l'auteur du courrier affirme l'accepter “au nom de la liberté de rire de tout”. Le Conseil français du culte musulman (CFCM), plus haute instance de l'islam en France, a immédiatement convoqué une réunion exceptionnelle de son bureau exécutif, envisageant “une démission en bloc”, selon l'entourage de Dalil Boubakeur, président du CFCM. Cependant, le CFCM a opté pour “l'apaisement” et a déploré dans un texte une “politisation d'une affaire judiciaire tendant à dénoncer (...) un acte de provocation créant l'amalgame entre terrorisme et islam”. Cependant, la Grande-Mosquée de Paris et l'Union des organisations islamiques de France, qui ont engagé la procédure contre le journal coupable d'avoir publié des caricatures jugées injurieuses à l'islam, se sont retrouvées acculées à la défensive. Le jugement est mis en délibéré au 15 mars. Le procureur de la République, Anne de Fontette, a requis jeudi dernier la relaxe de Philippe Val, directeur de publication de Charlie Hebdo. La représentante du ministère public a estimé que les trois caricatures visées par la Grande-Mosquée de Paris (GMP) et l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) comme étant une injure à l'encontre des musulmans ne constituaient “pas une attaque contre des convictions religieuses en tant que telles”. “Ce n'est pas la foi en l'islam qui a été stigmatisée par ces caricatures”, selon Mme de Fontette. Cette dernière a détaillé les trois dessins poursuivis. La magistrate a considéré que ce qui était mis en cause, c'était “la dénaturation de l'utilisation de la religion musulmane qu'en font les intégristes”. “C'est l'utilisation abusive du nom de Dieu, c'est le djihad, ce qui est dénoncé, c'est le dogme de l'islam quand il est dévoyé à des fins fanatiques ou extrémistes”, a-t-elle expliqué, finissant son réquisitoire en affirmant que les éléments constitutifs du délit d'“injure stigmatisant un groupe de personnes à raison de sa religion” n'étaient pas réunis. Avant elle, les avocats des parties civiles, et notamment Mes Christophe Bigot et Francis Szpiner, s'étaient défendus de vouloir rétablir “un quelconque délit de blasphème”. Selon Me Bigot, en publiant les dessins plusieurs mois après le début de la polémique liée à leur édition par le journal danois, Charlie Hebdo a “commis un acte parfaitement et mûrement réfléchi avec la conscience de la blessure” qu'il allait infliger au droit d'exercer sa religion, notamment protégé par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'Homme. “Ces caricatures inacceptables véhiculent un message qui porte atteinte à la dignité des musulmans par la pratique de l'amalgame, prémisses aux ratonnades et au délit de sale gueule”, a plaidé Me Szpiner. Pour leur part, les deux avocats de Charlie Hebdo, Mes Richard Malka et Georges Kiejman, se sont étonnés de voir l'hebdomadaire satirique taxé de raciste et d'islamophobe. Une accusation que le journal a “très mal vécue”, selon Me Malka. “Je regrette que ce débat ait eu lieu dans un tribunal”, a affirmé M. Val, invitant le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubawkeur, partie civile, “à continuer ce débat pour dénoncer le choc des civilisations et l'inimitié programmée”. M. Val a également déclaré au tribunal que la portée du jugement qu'il allait rendre dépassait le seul journal qu'il dirige et concernait “la liberté des artistes et des créateurs”, tant en Europe que partout dans le monde. Son intervention a été saluée par une salve d'applaudissements. Le procès ouvert en pleine campagne électorale a vu les hommes politiques prendre unanimement partie en faveur de Charlie Hebdo. Ce qui n'a pas été du goût des Indigènes de la République, un mouvement animé par des Français d'origine immigrée. Le mouvement a dénoncé un “racisme démocratique” et “un consensus raciste” qui s'est, selon lui, exprimé à l'occasion du procès. “Stigmatiser des Noirs ou des musulmans n'est pas vraiment amoral, encore moins un délit, car ce ne sont pas vraiment des Français”, ironise-t-il. Y. K.