Aousserd. Jeudi 3 février 2007. Alors qu'on roulait à bord d'un 4x4 sur une piste caillouteuse qui serpente les hameaux de tentes de ce camp sahraoui, on aperçoit une jeep traîner une bête morte. Son propriétaire, Salek, venait de perdre sa chèvre et l'emmène l'enterrer dans la hamada de Tindouf. Aousserd : De notre envoyé spécial Un malheur, un de plus, est arrivé à ce réfugié sahraoui. Lui qui, comme certaines rares familles de réfugiés, comptait sur son petit élevage de bétail pour survivre. Henoun, rencontrée dans un petit enclos qu'elle a bricolé avec de la tôle recyclée et du fil de fer, fait partie de ce lot de « chanceux ». « J'ai 5 bêtes, le petit agneau que vous voyez là, quand il sera grand je le vendrai afin de gagner un peu d'argent qui me permettra de subvenir à mes besoins », dit elle en souriant. « Le lait, on le garde pour les enfants », ajoute-t-elle. « Eux, au moins, ils ont cette chance, ce que la plupart des réfugiés n'ont pas », commente notre accompagnateur, M. Abdati, du Croissant-Rouge sahraoui (CRS). Les réfugiés sahraouis vivent exclusivement des aides humanitaires pilotées par les organismes spécialisés de l'ONU (PAM et HCR) et financées par les pays donateurs. Depuis quelques mois, les conditions de vie dans les camps de réfugiés se sont dégradées dangereusement à cause du manque d'approvisionnement en aides. De plus, le stock de sécurité, qui était financé par Echo depuis 2001, est à son épuisement total. « On n'a pas trouvé de quoi manger et nos bêtes aussi », regrette Henoun, occupée à abreuver ses bêtes. Ici, à Aousserd, rien ne pousse ou presque. L'eau est acheminée jusqu'à ce camp par des camions-citernes affrétés par des organisations humanitaires. Mais elle n'est pas propre à la consommation. En plus d'être ensablée, cette eau a un fort goût de sel. « On l'utilise surtout pour les tâches domestiques », explique Henoun. Habituellement, les familles des réfugiés reçoivent du CRS leur ration alimentaire à chaque début de mois. Mais, cette opération ne s'est pas déroulée depuis deux mois, selon Abdati. Le CRS ne trouve rien à offrir aux réfugiés en raison de la rupture des stock de vivres. « Nous n'avons reçu au début du mois de janvier que 3 kg de farine et 250 g de sucre et plus rien pour ce mois de février », témoigne Henoun. Le riz, les lentilles et l'huile n'ont pas été distribués depuis novembre 2006. Fatma Yehdhi, elle, ne se soucie guère de la situation alimentaire dégradante dans les camps. Elle s'en est remise à Dieu. « La volonté de Dieu n'a pas de frontières », estime-t-elle, occupée à éplucher le kilo de pommes de terre qu'elle a reçu la veille comme don de l'agence espagnole de coopération. « Aujourd'hui, nous avons des lentilles pour le déjeuner », dit-elle. Un aliment qu'elle a acheté de l'épicier faisant face à sa kheïma, grâce aux petits sous que lui ont donnés, dit-elle, « les faiseurs de bien ». Il va sans dire que malgré cette situation désastreuse que vivent les Sahraouis, ils ont choisi avec conscience le sacrifice pour leur cause. Un seul rêve et une seule détermination pour Fatma : lutter encore pour rejoindre la ville d'El Ayoun spoliée par le Maroc. « Notre objectif est que nous soyons toujours attachés à notre combat pour l'indépendance. » « Si nous mourons de faim, nous mourrons en martyrs », tranche Fatma Yehdhi. En attendant, en raison du blocage des aides humanitaires, la quasi-majorité des familles réfugiées recourent à l'endettement. Hadhia, qui tient un commerce à Aousserd, évalue à 75% des familles qui s'approvisionnent de sa boutique à crédit. « Le crédit ne me gêne pas, je continue à gérer ma tienda (épicerie en espagnol) pour ne pas laisser mes compatriotes mourir de faim », dit-il. Cela étant, ce manque de vivres est à l'origine de la dégradation de l'état de santé de beaucoup de réfugiés. Hôpital d'Aousserd. Par un froid glacial, une grappe de femmes lovées dans des tuniques multicolores (el melahfa) attendent leur tour de consultation chez le seul médecin de la localité. Le docteur Mohamed Ahmed travaille dans des conditions où tout peut se faire, sauf la médecine : absence d'hygiène, pas de lumière ni chauffage. « 80% des réfugiés qu'on reçoit sont atteints soit d'une grippe, d'une angine ou d'une bronchite. » Les plus touchés par ces maladies saisonnières sont les personnes âgées et les enfants. Le docteur Mohamed Ahmed cite également les maladies chroniques, telles que l'anémie, l'hypertension et l'asthme. Selon ce médecin, plus de 70% de femmes enceintes présentent une anémie sévère. Les enfants aussi. La sous-alimentation augmente de plus en plus du fait de la diminution de vivres, atteste ce médecin. Situé à une trentaine de kilomètres à l'est de Tindouf, le camp d'Aousserd porte toujours les séquelles des inondations qui l'ont touché en février 2006. L'école Madrid qui supporte les élèves de l'école Basri, qui est en phase de réhabilitation, se trouve toujours dans un état dégradé. Les élèves fréquentent des classes sans porte, ni fenêtres et sans toit. L'eau et le chauffage sont inexistants. Les élèves sont obligés de faire leurs besoins à ciel ouvert. « Les absences sont répétées en raison du manque d'alimentation », selon le directeur de cette école, Mohamed Aida.