Sur le point de mettre bas, une chèvre avec une patte posée sur un tissu usé en jean tente avec ses dents d'arracher un morceau de cette substance pour subvenir à sa faim. A quelques mètres de là, une femme, habillée en melahfa (voile des femmes du Sahara), assise en tailleur, plongée dans un silence de mort, fixe d'un regard pensif et lointain ses autres bêtes en train d'avaler les restes de la nourriture de sa famille laissés la veille. Plus loin, entre un tas de maisonnettes en toub, un groupe de bambins disputent une partie de ballon que l'un de leurs amis, réfugié avec sa famille en Espagne, leur a ramené cet été. Eux, ils n'ont pas cette chance d'aller, comme les 9000 autres enfants, passer cette année leurs vacances d'été auprès de familles espagnoles. Il est 20 h 30. Le coucher du soleil dévoile sa splendeur à l'horizon. Moment durant lequel la majorité des familles sahraouies, réfugiées dans le camp du 27 Février - en référence à la date de la proclamation de la RASD en 1976 - sortent pour se rafraîchir un peu, et ce, après une dure journée caniculaire passée sous les khaïmate (tentes du désert). Mais aussi, c'est le meilleur moment pour la population sahraouie, qui n'est là que par ce qu'elle est victime de l'histoire, de se rencontrer pour discuter de tout et de rien. Particulièrement de son destin : l'indépendance. Puisqu'elle ne se soucie guère de la situation dégradante dans les camps où elle vit grâce à l'aide alimentaire internationale qui est distribuée à rations égales entre les familles. Pourtant cette année, c'est encore très pénible pour cette population, dont le nombre est, selon la RASD, de 158 000 habitants, vu le déficit de ce genre d'aide et le manque d'eau potable. « L'aide de l'organisation ECO, qui vient en complément à celle du PAM (programme alimentaire mondial), qui a atteint à une certaine période 15 millions d'euros, a chuté jusqu'à 5 millions d'euros », selon le Premier ministre de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), Abdelkader Taleb Omar. Manque d'eau et de denrées alimentaires Ce dernier révèle que « les réfugiés ont connu durant ces derniers jours un manque de denrées alimentaires à l'exemple du lait et du poisson qui n'arrivent plus, et même les réserves ont été touchées, car auparavant l'ECO pouvait constituer des stocks pour assurer une couverture alimentaire jusqu'à 4 mois ». Mais malgré cela, selon le ministre, « les Sahraouis ont choisi avec conscience le sacrifice pour leur cause et pour des conditions de bien-être et c'est pour ça qu'ils restent solides pour affronter tous les obstacles. Les derniers événements prouvent cela ». En effet, dans tous les récits de Sahraouis, un seul rêve, une seule détermination : récupérer leur terre spoliée par le Maroc. « Les conditions dans lesquelles vit aujourd'hui le peuple sahraoui ressemblent à celles vécues par les Algériens durant l'époque coloniale, mais cela n'est rien devant la volonté et la force des Sahraouis de défendre leur patrie, leur dignité et leur liberté », dira le jeune Moulay Ahmed Mohamed Salem. Ce dernier, qui vient d'avoir son bac cette année et qui compte poursuivre des études en sciences politiques à Alger, ne désespère pas de voir un jour son pays jouir de l'indépendance. Un rêve qui lui permettra d' aller rejoindre les siens, le reste des membres de sa famille, qui se trouvent de l'autre côté du mur de la « honte ». Elles sont des milliers de familles à vivre le déchirement de l'autre côté de ce mur, érigé par le Maroc, et qui partage le territoire sahraoui du nord jusqu'à la Mauritanie au sud, sur une longueur de près de 1500 km. Dans les différents camps de Tindouf, au nombre de quatre, tous portant les noms des villes des territoires occupés (El Ayoun, Dakhla, Smara et Aousserd), chacun dit forcement avoir un parent, un proche ou un cousin là-bas, dans les villes des territoires occupés. Estimation avancée par des sources officielles de la RASD, plus de 200 000 Sahraouis y vivent sous le joug de l'occupation marocaine. Pour les rejoindre, le jeune Moulay Ahmed Mohamed Salem ne perd pas espoir. « Nous nous préparons à gagner la bataille décisive pour libérer notre terre de la présence marocaine », promet-il non sans omettre de dénoncer la répression du Maroc vis-à-vis de la résistance pacifique dans les villes du territoire occupé du Sahara-Occidental. Comme la jeune Fatmatou Mohamed Bouda, originaire d'El Ayoun - la vraie -, et épouse d'un ex-responsable de la 4e région militaire sahraouie - décédé en 2003 -, qui ne mâche pas ses mots. Pour elle, « le Maroc est un monstre, un colonisateur et un oppresseur du peuple sahraoui ». Elle, elle se souvient comme si cela datait d'hier du temps où les réfugiés sahraouis avaient fui la répression qui a accompagné l'entrée de l'armée marocaine au Sahara-Occidental, juste après la marche verte. « Alors que nous étions poursuivis par les forces marocaines, un camion plein à craquer de femmes et d'enfants a subi des bombardements aériens et terrestres au point où tous les corps et le camion étaient déchiquetés. » Son mari, El Hadj Habou, témoigne-t-elle, n'a pas échappé à la répression marocaine, « avant sa mort, il portait toujours les séquelles de la guerre dans le dos et sur son pied ». Sa fille Khadidja, née à Tindouf, ne souhaite qu'une chose : devenir journaliste pour porter à l'opinion international ce qu'a enduré le peuple sahraoui. « Combattre avec ma plume pour que mon peuple arrache sa liberté », dit elle. El Moud El Bali, à peine s'il se souvient de la guerre à cause de son âge, dit : « Que mon pays ait l'indépendance pour qu'il puisse établir des relations avec d'autres Etats. C'est la seule condition pour voir le Sahara-Occidental indépendant se développer. » On se rend compte ainsi qu'on a affaire à des gens (surtout les jeunes) convaincus de la justesse de leur cause. Attachement et détermination à défendre les droits inaliénables de leur patrie à l'autodétermination et à l'indépendance. Ils ne sont nullement intimidés par l'acharnement répressif marocain sur leurs concitoyens dans les villes des territoires occupés ni par les dernières allégations du régime chérifien faisant état de troubles dans leur camp, notamment dans les villes d'Aousserd et de Smara, à Tindouf. Au contraire, cela motive leur force pour la poursuite du combat. « Nous sommes des Sahraouis, nous mourrons pour le Sahara et nous ne sommes ni marocains, ni mauritaniens, ni algériens », insistera Fatou Sidi Mohamed. Celle-ci en attendant sert sa patrie en tant qu'enseignante en assurant des cours à des enfants à l'école du 27 Février. Comme dans ce camp, et dans d'autres camps aussi, est assuré aux enfants sahraouis l'enseignement du primaire jusqu'au moyen. Les études secondaires se poursuivent généralement en Algérie et les études universitaires en Espagne ou à Cuba. Fatou Sidi Mohamed exige de l'ONU et des organisations internationales de faire pression sur le Maroc, afin qu'il quitte leur territoire. Un territoire au sein duquel la population meurtrie est sévèrement réprimée et torturée par le régime chérifien.