Réalisateur d'une série de documentaires sous le titre générique de Témoignages pour l'histoire, Ali Fateh Ayadi a présenté, hier au siège de la télévision nationale à Alger, son dernier opus en 52 minutes, Les enfumades du Dahra. Documentaire qui devra passer sur les trois chaînes algériennes dimanche 18 février à 20h45, en version arabe et en français. A travers le documentaire, on redécouvre les massacres du Dahra, œuvre du général Pélissier. Le 18 juin 1845, 1000 Algériens de la tribu de Ouled Riah, poursuivis par les colonnes françaises, subiront le sort déjà appliqué par le général Cavaignac aux tribus résistantes de Ténès. L'enfumade, « un massacre respectant un protocole précis », selon Gilles Maçeron, historien français et rédacteur en chef de la Ligue des droits de l'homme (LDH). Une technique. Un mois et douze jours après, c'est le général Saint-Arnaud qui enfume ce qui reste de la tribu des Beni Sebah à Ténès, faisant selon les estimations de l'époque 500 victimes. Le documentaire est rehaussé par le témoignage de Hadja Zohra, arrière-petit-fille d'une survivante. Le lendemain du crime, Mohamed Ben Mohamed inspecte les lieux à cheval et retrouve deux survivants, deux miraculés de l'enfer : un homme, Bouhraoua et Aïcha Bent M'hamed. Le sauveur se marie avec la survivante Aïcha. De cette union naissent les grands-parents de Zohra qui récitent des poèmes populaires relatant le massacre des anciens condamnés en son temps par des consciences telles que le bonapartien maréchal Ney, qui déclare que ce n'est point comme cela qu'on mène la guerre. Le documentaire incrimine les voix apologistiques des crimes : de Tocqueville, mais aussi Jules Ferry. Pour l'auteur de Coloniser, exterminer, Olivier Le Cour Grand-Maison, les enfumades n'ont pas été décidées dans le feu de l'action, évoquant des « massacres administratifs », concept emprunté à Hannah Arendt. La dérive du discours républicain français justifiant les crimes contre les civils durant la conquête française, explique Gilles Mançeron, a subsisté dans la pensée politique française jusqu'aux indépendances. Pour sa part, l'universitaire Madjid Merdaci s'interroge « à quand un examen sérieux du passé colonial de la France ? ». Un tel examen nourrira selon lui une meilleure politique de la France vis-à-vis de ses propres citoyens, notamment ceux d'origine immigrée. « Le rôle des militants des droits de l'homme est également important », souligne dans le documentaire Gilles Mançeron, « car l'histoire a des conséquences actuelles sur les phénomènes de discrimination et de racisme qui plongent leurs racines dans le terreau du colonialisme ». Mais l'histoire a besoin de repères. « Aucune indication ne signale l'emplacement actuel de ces grottes », ajoute le réalisateur qui regrette que des noms de généraux français coupables de massacres contre les Algériens, comme Clausel ou Cavaignac, soient toujours usités pour indiquer des quartiers d'Alger. Ali Fateh Ayad prépare un autre documentaire, en co-production avec France 2, sur les massacres de mai 1945 dont le tournage sera lancé le 20 avril 2007, De Reggane à Mururoa, traitant des essais nucléaires français ainsi qu'un feuilleton en trois épisodes sur l'Emir Abdel Kader, en chantier.