Moins 20%, moins 30%, moins 50% et même jusqu'à moins 70% ! Depuis le début janvier, les commerçants d'Alger ont « unilatéralement » décrété une période de « soldes » pour une durée indéterminée. Autrement dit jusqu'à épuisement des marchandises en mal de clients. Les raisons sont multiples et la finalité reste unique : « Récupérer la mise, au mieux faire une petite marge bénéficiaire. » Pour des consommateurs aux regards constamment rivés sur l'évolution des mœurs de consommation en Occident, les soldes ne semblent pas être une découverte. L'économie de marché puis la mondialisation servie d'un imaginaire fécond ont fini par faire adopter à « distance » les soldes comme un mode de consommation à part entière. Ce qui est, par contre, de l'ordre de l'initiation, c'est la pratique des soldes. Les commerçants, pour leur part, connaissent à peine le principe général. Pas d'affichages conformes, des prix et des niveaux de remises aléatoires, absence totale des services de contrôle et de répression des fraudes… Bienvenue dans les soldes versus « made in Algeria ». Constatation préliminaire sur terrain : les soldes à l'algérienne ne concernent apparemment que le vestimentaire et la chaussure. L'électroménager, l'électronique, l'ameublement, l'informatique, les bijoux… sont exclus. Pour les commerçants, inconcevable de céder lesdits produits au rabais d'autant plus que les phénomènes de mode ne les ont pas encore atteints. A l'inverse, l'habillement est entré dans le cycle des collections (automne/hiver, printemps/ été) et les revendeurs sont contraints de renouveler sans cesse leurs stocks sous peine de disparaître. « Jamais de mémoire, je n'ai vécu une saison aussi désastreuse », constate amèrement le patron d'une grande enseigne installée boulevard Didouche Mourad, l'une des artères les plus achalandée d'Alger. Et à notre patron d'imputer la profusion des soldes à la « crise » que traverse le commerce de l'habillement. Un constat qui fait l'unanimité. En vérité, de gros stocks se tassent dans les entrepôts des importateurs et les détaillants subissent la pression du résultat d'autant plus qu'ils avaient parié, financièrement s'entend, sur l'écoulement des marchandises dès l'entame de l'hiver. C'était compté sans les caprices de dame nature. Avec la douceur hivernale inhabituelle de cette année les commerçants vivent dans un stress permanent. L'heure est à la « liquidation ». A quelques dizaines de mètres de la place Audin, Salim tient un magasin de prêt-à-porter pour hommes. Lorsque nous l'interrogeons sur les raisons de la crise, Salim que nous avons trouvé meublant le vide en feuilletant les dernières révélations de la presse sur les procès Khalifa et BCIA lance, sur un ton amusé : « Les 2 K (Khalifa, Kharroubi) ont laissé tout le monde sur le carreau et moi je me retrouve au chômage technique. » Plus sérieusement, ce diplômé de la faculté des sciences économiques défait les mailles de la crise en culpabilisant les importateurs. « Ils se sont rués sur des produits généralement ramenés sur commande tablant sur une réédition des ventes de 2005. C'est le cas par exemple du cuir. Des containers entiers de blousons ont été ramenés. Finalement, ils se sont ruinés et sont en train de nous entraîner dans leur faillite », soutient notre vendeur. Aux conditions climatiques, Salim ajoute : « Les doubles dépenses de l'Aïd El Adha qui a coïncidé avec le nouvel an. Le recul du pouvoir d'achat réel des ménages et les misérables bourses des étudiants sont autant d'éléments négatifs qui auraient pu prédire une telle situation. Mais que voulez-vous, Allah ghaleb, l'appât du gain rapide l'a emporté. » La loi… au rabais « Nous sommes dans une course contre la montre. Depuis une semaine nous cédons les blousons en cuir à 7500 DA au lieu de 11 000, des chaussures à 3500 au lieu de 4800 et nous accordons des remises de 15 à 30% sur les chemises, pulls, jeans et costumes. Lorsque nous tombons sur un bon client, nous offrons gratis chaussettes, sous-vêtements et même parfois la cravate », détaille Salim qui ne rate pas l'occasion de se lamenter un peu plus en déplorant : « Nous parvenons péniblement à écouler quatre à cinq articles par jours. » « C'est insignifiant dans un emplacement aussi connu que le nôtre », rebondit le patron de Salim. Pour l'employeur, « le maintien de l'équilibre financier du magasin en ces jours de disette tient de la prouesse. Nous louons à peine 20 m2, est nous devons couvrir des charges (loyer, électricité, salaires, impôts) atteignant les 25 millions de centimes par mois ». « En un mot, résume le gérant, les soldes se sont imposés à nous », avant de révéler que son magasin solde des produits ramenés depuis moins de… « trois semaines ». Sans s'en rendre compte, il avoue « violer » une réglementation dont il ignore jusqu'à l'existence. C'est avec gêne qu'il apprend qu'un décret exécutif (n°06-215) encadre les ventes en soldes. D'après ce texte, « les ventes en solde ne peuvent porter que sur des biens acquis depuis trois mois au minimum, à compter de la date de début de la période des ventes en solde ». En mal d'arguments, notre interlocuteur met la responsabilité sur le dos des pouvoirs publics et des associations professionnelles qui ne font pas d'effort de communication. Dans le cas de ce gérant, ils sont nombreux, pour ne pas dire la majorité. Même son de cloche du côté du marché Ali Mellah à la place du 1er Mai. Le Bazar, pour les habitués , pullulent d'affichettes. Dans ce « vivier infractionnel » où il est difficile de se frayer un chemin, les jupes sont à 1400 DA, les manteaux à partir de 2500 DA. Les chaussures chinoises, à la base pas très chères, oscillent entre 350 et 1800 DA. Les feuilles A4 qui font office d'affichettes n'annoncent que les nouveaux prix. Mais nouveaux prix par rapport à quoi ? Si nous nous tenons à la loi stricto sensu, avant le lancement d'une campagne de soldes, le commerçant est tenu de fournir à l'administration compétente, en l'occurrence la DCP, la liste et les quantités des biens devant faire l'objet des ventes en solde accompagnée de l'état reprenant les réductions de prix à appliquer ainsi que les prix pratiqués auparavant. Lors des soldes, il est sommé d'afficher en devanture du magasin la période des soldes, les produits concernés, l'ancien prix de l'article, le taux de remise accordé et le nouveau montant. Or, tant que la facturation ne fera pas partie de la culture commerciale des marchands, ladite réglementation restera quasiment inapplicable. Pis, au Bazar, la plupart des jeunes travaillent sans registre du commerce en sous-louant les échoppes auprès des vrais bénéficiaires. Une situation qui perdure depuis, pratiquement, une décennie. Ammi Saïd, dans le commerce des tissus depuis une quarantaine d'années, résiste à la déferlante « soldes ». Il est contre et s'interdit ce type de marketing. Propriétaire d'une boutique sur la célébrissime Zenket laârayess où les mariées s'y rendent « rituellement » pour préparer leurs trousseaux, il juge la technique inadaptée à la mentalité algérienne. « Vous savez, les Algériens ont la fibre du négoce. Ils ne se contentent jamais du prix affiché. Ils négocient tout et à longueur d'année. C'est ainsi que nous avons appris à prendre soin de chacun. C'est du cas par cas. » « Et puis, soutient le sexagénaire, il y a trop d'informel et de produits contrefaits. Il faut être vraiment connaisseur pour ne pas se faire avoir. » Des consommateurs aussi ravis que suspicieux « S'offrir les articles qui d'ordinaire sont inaccessibles », voilà la devise de cette étudiante, jeans délavé et sac en bandoulière, croisée au tunnel des facultés d'Alger affairée à dénicher la perle rare. Dans cet endroit dépourvu, la débrouillardise est maîtresse. On essaye les chaussures à l'extérieur de ce qui ressemble plus à un placard qu'à un local. Pour les essayages… il y a la maison. C'est ainsi que les commerçants de ce « tunnel » se sont fait de l'espace. Notre étudiante choisit l'article, se donne une idée de la taille à la mesure du bras, débourse 1000 DA et s'en va. Garantie « verbale » est, néanmoins, prise de changer l'article en cas de problème mais jamais le reprendre. Farida, enseignante dans un CEM, est mère de trois adolescents. Elle est carrément outrée par cette mode des soldes. « C'est inadmissible que l'on trouve des soldes à -60%, voire 70%. Pour moi, ça veut dire que le restant de l'année c'est vendu beaucoup trop cher », renchérit-elle. Mais pour la grande majorité, les prix n'ont rien d'exceptionnels ! « Les soldes ? C'est toute l'année que les prix soldés devraient être pratiqués sur l'habillement. Tout le monde sait que ce sont des produits chinois de piètre qualité quand ils ne sont pas fabriqués localement dans des ateliers de fortune », soutient Anis, expatrié de passage à Alger pour récupérer son diplôme définitif. « En Europe, compare-t-il, cela se passe autrement avec une organisation meilleure et puis les prix d'ici restent élevés pour une qualité similaire. C'est de l'arnaque. » Ils étaient nombreux, en effet, à nous expliquer qu'avec les soldes, ils ont plus la notion du « vrai prix ». Et ils n'ont pas entièrement tort d'autant plus que la régulation reste aux abonnés absents.