Les Etats-Unis sont le pays dominant du système international. « Le rêve américain » est devenu une référence pour des milliers de jeunes — y compris algériens — qui voient en ce pays un lieu où il fait bon vivre. La réalité de l'économie américaine n'est pourtant pas aussi rose. Autopsie de ce que le New York Times appelait naguère « l'économie miracle ». C'est le pays des grands lacs et des vastes prairies. C'est le pays des gratte-ciel, le pôle des affaires, le poumon de l'économie mondiale. Mais c'est aussi le pays des monstrueuses dépenses, des endettements et le plus grand consommateur de l'épargne mondiale. Le pays de l'oncle Sam vit au-dessus de ses moyens. Explications : le boom américain et la puissance du dollar se sont bâtis sur l'endettement, précaire par définition. Car, un jour ou l'autre, il faudra bien rembourser les quelque 8655 milliards de dollars (chiffre arrêté en décembre 2006), avec des intérêts composés. Le mode de consommation et le niveau de vie américains doivent, pour se perpétuer, absorber des volumes toujours plus importants de l'épargne mondiale (80% à l'heure actuelle). Ils comptent aussi sur les capitaux étrangers. Les Etats-Unis attirent 700 milliards de dollars par an pour équilibrer leurs comptes. Dans l'empire du dollar, tout le système repose sur le déficit et le crédit. Tel est bien le seul moyen dont disposent les Etats-Unis pour faire vivre un peuple au-dessus de ses moyens. Et c'est là que le "deux poids, deux mesures" crève les yeux. Le pays de George Bush profite indéniablement de son statut de première puissance mondiale. Les "lois" de l'équilibre, que les Etats-Unis et le Fonds monétaire international s'efforcent avec fermeté de faire respecter par les pays faibles et endettés, n'ont pas cours sur la scène américaine. En 1984 déjà, le Monde Diplomatique soulignait à quel point il était "malsain, pour l'Amérique, de vivre aussi largement au-dessus de ses moyens et, pour les autres pays concernés, de voir fuir vers les Etats-Unis des capitaux dont ils auraient le plus grand besoin pour eux-mêmes". "Onze fois moins peuplés que le tiers-monde, les Etats-Unis sont en 1985 sept fois plus endettés que lui. Tel est le privilège de la plus riche nation de la planète", disait-on. Aujourd'hui, les choses n'ont guère changé. Le risque de récession est encore là. En matière budgétaire, l'Administration Bush hérita d'excédents proches de 240 milliards de dollars en 2000. La récession de 2001 (qui a provoqué de moindres rentrées fiscales), mais aussi les baisses massives d'impôts votées par un Congrès républicain (imaginant que les excédents étaient devenus structurels) et le nouveau gonflement du budget de la défense et de la sécurité intérieure consécutif aux attentats du 11 septembre ont transformé ce surplus appréciable en déficit considérable. Même si le déficit commercial s'est réduit de près de 7% en septembre dernier, et se limite désormais à 64,3 milliards de dollars, et que les importations ont baissé, en 2006, de 2,1%, à 187,5 milliards, un phénomène dû notamment à la diminution des cours du pétrole, la dépendance vis-à-vis des importations chinoises s'est nettement aggravée. Le déficit vis-à-vis de la Chine s'est creusé de 12,2% à 22 milliards de dollars, un niveau record, les Américains important toujours plus de biens de consommation à bas prix. La Chine représente à elle seule près d'un tiers du déficit américain. La balance pétrolière a elle aussi affiché un déficit record à 27,2 milliards de dollars. Sur les huit premiers mois de l'année 2006, le déficit commercial des Etats-Unis a atteint les 522,8 milliards de dollars, contre 457 milliards de dollars sur la même période de 2005. Dépenses militaires Le fait que le pays des cow-boys entre dans ce qu'ils qualifient de "guerre contre le terrorisme" ne fait qu'exacerber la situation. Les dépenses du budget militaire 2007 a atteint les 436,6 milliards de dollars, dont 70 milliards à titre de "dépenses supplémentaires" pour les opérations en Irak et en Afghanistan. Les dépenses approuvées sont de 19 milliards de dollars supérieures à celles de l'année précédente, mais de 4 milliards de dollars inférieures à la somme demandée pour l'année prochaine par le président Bush. Ils prévoient 80,9 milliards de dollars pour l'achat de nouveaux armements et matériels de guerre, dont 2 avions F-35 Joint Strike Fighter, 20 avions F-22 et 38 hélicoptères UH-60 Blackhawk, ainsi que de 12 avions de transport C-17 et 9 C-130J. Le chapitre armement prévoit aussi 10,6 milliards de dollars pour l'acquisition de huit navires de guerre, dont un sous-marin atomique de la classe Virginia, deux contre-torpilleurs de la classe DDG-1000 Zumwait et d'autres bâtiments. Avec le renforcement des militaires américains en Irak, tout porte à croire que le budget de la défense est appelé à être revu à la hausse. Une initiative qui se fera au détriment des autres secteurs. Le président Bush réaffirme son intention de "réduire le déficit de moitié" par une politique "de rigueur" qui doit s'étendre à tous les secteurs, évidemment hors la sécurité et la défense. Le projet de budget 2006 a déjà réduit drastiquement et supprimé plus de 150 programmes gouvernementaux jugés par l'administration "inefficaces, redondants ou non prioritaires". Les programmes sociaux, en particulier ceux destinés aux enfants et aux indigents, figurent dans la ligne de mire, leur montant se trouvant même réduit d'une année sur l'autre en valeur absolue. M. George W. Bush s'est également déclaré muni d'un "mandat" pour entreprendre des réformes aussi audacieuses que coûteuses. Il est même prêt à prendre des mesures controversées, comme la privatisation partielle du système fédéral des retraites (qui, dans un premier temps, coûtera plusieurs centaines de milliards de dollars au Trésor américain). Le sort du dollar se joue à Pékin Préoccupés prioritairement par la "lutte contre le terrorisme" et par la guerre d'Irak, les dirigeants américains se sont peu intéressés aux grandes questions économiques internationales. Certes, ils ont proclamé leur attachement à une monnaie forte, afin de ne pas inciter les spéculateurs à trop malmener le billet vert, mais ils s'en sont remis au "marché" pour, estiment les spécialistes, mieux occulter la question des "déficits jumeaux" (budgétaire et commercial), qui se sont massivement accrus. Mais les solutions habituellement préconisées pour rééquilibrer les comptes des Etats-Unis impliquent des choix douloureux (hausse des impôts, baisse des dépenses militaires...) qui vont à l'encontre des grandes orientations politiques de l'Administration Bush. L'Amérique achète 50% de plus qu'elle ne vend à l'étranger. Et ce sont les investisseurs internationaux qui, par leurs acquisitions de bons du Trésor américains, financent le train de vie de la première puissance économique mondiale. La situation est d'autant plus délicate que le sort du dollar se joue désormais à Pékin. Même si le Trésor américain a pour principe de perpétuer un "dollar fort" afin d'attirer les capitaux étrangers, devenus indispensables, les responsables américains savent également qu'un dollar anémique favorise la compétitivité des produits fabriqués aux Etats-Unis ; il rend les achats d'actifs américains plus attrayants pour les investisseurs étrangers (dès lors qu'ils sont moins chers) et dévalue une dette extérieure estimée à 3000 milliards de dollars. Au total, entre 2002 et 2004, le billet vert a perdu 20% de sa valeur face à l'euro. Un dollar faible devait favoriser les exportateurs américains et pénaliser les importateurs. Or, plutôt qu'à un rééquilibrage des comptes, cette politique a contribué au creusement de déficits qui ont souligné les fragilités sucturelles de l'économie américaine. Les opérateurs financiers en ont conclu que le dollar n'avait pas suffisamment baissé. Certains suggèrent même que, pour réduire le déficit commercial de moitié, la monnaie américaine devrait perdre 30% de plus — et ne plus valoir que 0,55 euro... Menace sur l'économie mondiale Paradoxalement, les Etats-Unis, qui ont l'habitude de prôner la libéralisation, ont néanmoins adopté des attitudes protectionnistes dans l'agriculture et la sidérurgie, en augmentant les droits de douanes. La mondialisation a renforcé l'autonomie américaine mais l'unilatéralisme des Etats-Unis — économique, commercial et militaire — se heurte à la réalité multilatérale de la planète. La santé économique de la première puissance dépend largement de l'épargne mondiale, mais les politiques de Washington, inspirées par sa suprématie militaire, contredisent le sacro-saint principe du libre-échange officiellement défendu. L'économie américaine est à la fois puissante et fragile. Pour l'heure, elle a surmonté les chocs successifs depuis 2000 car les Américains ont continué de dépenser. Or la consommation est le principal moteur de l'économie américaine et mondiale. Elle représente plus des deux tiers du PIB des Etats-Unis et 20% de l'activité planétaire. Si la bulle économique américaine venait à éclater, le monde entier en subirait les contrecoups. 2007 : année de l'investissement pour les entreprises américaines ? Le ratio investissement productif sur valeur ajoutée des entreprises américaines est resté historiquement bas. Les patrons américains ont peu investi durant la phase de reprise, en dépit de la bonne situation financière de leurs entreprises. En 2007, ils pourraient sortir massivement leurs projets d'équipement des cartons car la demande est forte et les capacités de production excédentaires très faibles.