Le président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH), Boudjemaâ Ghechir, a expliqué dans cet entretien que l'actuel amendement n'a pas pris en compte certains aspects du harcèlement sexuel. La ligue que vous présidez a été derrière la proposition de l'introduction dans le code pénal d'un article sur le harcèlement sexuel. Qu'est-ce qui vous a poussé à soulever ce grave problème ? Il faut noter que le harcèlement sexuel est devenu un véritable fléau dans nos universités, nos usines et nos institutions. Nous l'avions mentionné dans chacun de nos rapports annuels. A chaque fois, nous alertons sur son développement en raison des nombreux obstacles culturels, économiques et juridiques qui bloquent sa répression. En plus de l'inexistence de textes normatifs qui le punissent, il y a aussi ces blocages culturels qui poussent la victime à ne pas dénoncer son agresseur. Celle-ci n'est jamais vue comme étant la victime, mais plutôt comme provocatrice de l'agression, y compris par les policiers chez qui elle est censée trouver refuge qui, souvent, lui font des remarques sur sa façon de s'habiller, de marcher, de parler, etc. La victime devient tout simplement le coupable. Il est important de relever également que les obstacles économiques tels que le chômage, laissent la femme très vulnérable par rapport à son patron, par crainte de perdre son poste de travail. C'est cette impunité qui encourage fortement le phénomène. Par exemple, lorsque j'ai saisi le directeur général d'une entreprise publique sur le cas d'une femme harcelée par son chef de service, le responsable a refusé de prendre les mesures nécessaires en affirmant qu'il s'agit d'une affaire personnelle entre l'employée et son chef direct. Devant cette situation, nous avions, au niveau de la ligue, décidé d'écrire au ministre de la Justice et de lui proposer un texte de loi pour réprimer le harcèlement. Dans l'exposé des motifs, nous avons expliqué que ce fléau touche au développement et que la femme dans ces conditions ne peut fournir les efforts dont elle est capable, lorsqu'elle est sous pression, angoissée, instable et /ou faisant l'objet de chantage. Conclusion : ce sont ces obstacles culturels, économiques et sociaux qui poussent les femmes harcelées au silence. Est-ce que les amendements du gouvernement prennent en compte tous ces aspects ? Je trouve que le projet de texte est une avancée. Néanmoins, il y a des aspects qu'il n'a pas pris en compte. Il est très restrictif dans la mesure où le harcèlement ne se limite pas uniquement à l'abus d'autorité, aux ordres, aux menaces, contraintes et pressions. Nous avions proposé la définition suivante : le harcèlement est défini comme toute conduite à connotation sexuelle non désirée par la personne qui en fait l'objet. Il s'agit de paroles, gestes, de promesses, de récompenses, d'attouchement de nature répétitive et faits par une personne dans le but d'obtenir un accord quant à une demande de caractère sexuel ou à la suite d'un refus d'acquiesser à une telle demande. Toutefois, une conduite à connotation sexuelle qui se manifesterait de manière non répétitive, mais qui produirait un effet nocif et continu ou qui serait accompagnée de menaces, de promesses de récompenses peut constituer un harcèlement. L'actuel proposition a négligé l'abus d'autorité en matière sexuelle dans les relations de travail, notamment dans l'enseignement et les établissements de formation professionnelle où la sanction doit être sévère vu la vulnérabilité des victimes par rapport à leurs harceleurs qui, souvent, ne sont autres que leurs professeurs ou leurs responsables directs. Est-ce que les femmes sont nombreuses à venir vous constituer pour les défendre ? Ou les cas sont nombreux. Mais souvent, ces victimes demandent à être loin des tracasseries judiciaires. Elles pleurent leur sort en silence parce que souvent elles n'ont pas le courage ni les moyens de se défendre. Même leurs collègues ne le s aident pas à dénoncer et préfèrent dans la majorité des cas les conseiller de se taire. Une attitude dangereuse s'installe selon laquelle la femme qui travaille est à la portée de tous les hommes. Il faut combattre cet esprit par des sanctions sévères. Il faut une procédure assez simple afin de préserver la dignité des victimes. J'ai eu à traiter un cas qui m'a marqué et grâce auquel le projet d'amendement a été retenu. Il s'agit d'une jeune fille qui travaille dans une entreprise publique. Elle a été très courageuse puisqu'elle a aidé les policiers à arrêter le harceleur en situation de flagrant délit. Il l'a invitée dans une chambre d'hôtel, et c'est là qu'il a été arrêté. Mais une fois l'affaire close, nous nous sommes heurtés à la qualification. Dans l'actuel code, le harcèlement n'est pas prévu. Avec les policiers, nous avons jugé utile de concentrer sur l'attentat à la pudeur. Et même dans ce cas-là, nous avions eu des problèmes lorsque l'affaire était en jugement. Le coupable s'est défendu en accusant la victime d'être une prostituée. La pauvre victime était dans tous ses états. Fort heureusement, le tribunal a fini par le condamner à une peine avec sursis. Ces femmes qui osent dénoncer ne risquent-elles pas de faire l'objet de pression de la part des coupables, notamment lorsque ces derniers sont leurs responsables hiérarchiques ? Justement, il faut que la loi préserve les victimes de la réaction des coupables une fois dénoncés. Dans les cas que j'ai eu à défendre, j'ai entendu beaucoup de choses du genre cette femme est de mœurs légères, c'est elle qui m'a provoqué. Il y a même des responsables qui usent de leur autorité pour pousser le personnel à signer une déclaration certifiant la bonne conduite du coupable ou la mauvaise conduite de la victime. Pour éviter tout cela, il faut impérativement protéger les victimes par des textes de loi. D'abord dans la procédure de la plainte. Lorsqu'une femme vient se plaindre, il faut que les services de police, de gendarmerie ou de la justice l'écoutent et la prennent au sérieux jusqu'à la preuve du contraire. Il est aussi important que la femme qui dépose plainte ait un minimum d'indices qui permettent de prendre au sérieux sa déposition. Selon vous, ne faut-il pas réformer aussi les mentalités ? Je suis d'accord avec vous sur ce sujet. Les textes ne suffisent pas à eux seuls pour mettre un terme à ce fléau si la mentalité d'une bonne partie des Algériens ne change pas. La femme est toujours considérée chez nous comme un objet. Si elle est au foyer, elle appartient aux hommes de la famille et si elle travaille, ce sont tous les hommes qu'elle rencontre et tous ses collègues qui ont droit sur elle. Elle est donc quotidiennement agressée dans la rue et au travail sous prétexte que sa place est à la maison, et si elle est dehors, elle doit en assumer les conséquences. Cette mentalité rétrograde est très dangereuse. Dans beaucoup de milieux, lorsqu'une femme réussit professionnellement, tout de suite on ne parle pas de ses capacités mais plutôt de ses charmes ; mais si un homme réussit, on dira qu'il est compétent. C'est donc un véritable problème de mentalité qu'il faudra changer à partir de l'école, de l'université et même de la mosquée.