Chacune des nombreuses robes noires qui se sont succédé hier à la barre du tribunal criminel de Blida a accusé la Banque d'Algérie d'être civilement responsable de la catastrophe financière de Khalifa. Les avocats se sont dans leur majorité interrogés sur la constitution du liquidateur en tant que partie civile, ce qui ferme la porte, selon eux, à toute indemnisation. Me Hadague, représentant la Compagnie centrale de réassurance (CCR), qui a perdu 300 millions de dinars, met l'accent sur le caractère social de ces placements. Il rend responsable la banque qui, selon lui, a abusé de la confiance de ses clients. Me Guennane Abdelmoutaleb, plaidant au nom de l'Entreprise de gestion touristique (EGT) de Biskra, estime que le premier responsable dans cette affaire est la commission bancaire de la Banque d'Algérie, qui n'a pas contrôlé El Khalifa Bank, alors que celle-ci vient en seconde position, parce qu'elle est pénalement tout aussi responsable, du fait des manœuvres de malversation qu'elle a utilisées pour accaparer les 30 millions de dinars de l'entreprise. « Le fait que le liquidateur se soit constitué partie civile dans cette affaire, cela voudrait dire que nous ne pourrons plus récupérer notre argent », déclare Me Guennane. Son confrère, Me Hamouda Youcef, agissant au nom de l'Office national des droits d'auteur (ONDA) et d'un déposant, Bennaceur Abdelkader, affirme que l'escroquerie de Abdelmoumen Khalifa était préméditée. Pour preuve, explique-t-il, il a utilisé des taux d'intérêts de placement alléchants comme appât pour attirer le maximum de gros déposants et les spolier par la suite. « Pour nous, c'est la Banque d'Algérie qui est responsable civilement de ces pertes dans la mesure où elle était notre principal garant », insiste l'avocat qui précise que son client Bennaceur Abdelkader a perdu toutes les économies d'une vie, d'un montant de 1,6 million de dinars. Me Adad Messaoud, intervenant au nom de l'hôtel El Aurassi, note que l'escroquerie dans cette affaire est avérée et prouvée, du fait que l'hôtel en a été victime pour être dépossédé d'une somme de 18 millions de dinars. « En plus des pertes financières, cette affaire a causé un grave préjudice moral à de nombreux déposants spoliés des économies de toute une vie de travail et de sacrifices. Certains d'entre eux ont perdu la raison, d'autres leur famille », dit-il. Me Aouchiche Lynda, avocate de la mutuelle des œuvres sociales de la sûreté nationale (DGSN), note que son mandant a été victime d'une escroquerie, qui lui a valu la perte de 275 millions de dinars, représentant les cotisations des policiers. Me Laâdjar Saïd, plaidant pour le Fonds de garantie des risques des microcrédits (FGMRC) et pour la Caisse nationale de l'assurance chômage (CNAC), s'est interrogé comment ces deux entités sociales vont-elles récupérer les fonds qu'elles ont perdus, estimés à 3,18 milliards de dinars, à partir du moment où le liquidateur s'est constitué partie civile et qu'à ce titre il s'est assis sur le même banc que les victimes. « Comment les décisions du tribunal en matière civile vont-elles être exécutées ? Nous occupons la quatrième place, après le salaire des travailleurs, les inscrits et les organismes sociaux. » Il est important de relever que la Banque d'Algérie a été notre garant dans les dépôts, et ce, à travers l'agrément qu'elle a délivré à El Khalifa Bank. Elle est la première responsable du respect de la loi bancaire et de la sécurité des biens placés dans les établissements financiers », explique l'avocat, tout en indiquant que les dirigeants de la Cnac et du fonds ont également une part de responsabilité dans la mesure où ils n'avaient pas à se lancer dans la recherche des intérêts, parce qu'ils ne gèrent pas des entités économiques ou commerciales. Me Mahboubi Mohamed, agissant au nom de l'Edimco Chlef, n'a pas été avec le dos de la cuillère. Il assimile ceux qui ont aidé et soutenu Abdelmoumen Khalifa aux membres de la sixième colonne, durant la guerre de Libération nationale. « Ces traîtres, malfaiteurs, corrompus et mercenaires, tapis dans les institutions de l'Etat et dont les noms n'apparaissent nulle part, sont les principaux responsables de la catastrophe. Ce que la sixième colonne, créée par la France durant la guerre de libération, n'a pas pu faire à cette époque, elle a réussi à le faire grâce à ces responsables tapis dans l'ombre des institutions de l'Etat », indique Me Mahboubi, avant de citer un dicton très révélateur : « Lorsque l'argent parle, la loi se tait. » Il estime que la loi sur la monnaie et le crédit ne peut être rendue responsable des défaillances de la Banque d'Algérie, du fait qu'elle est copiée sur la législation française, qui a épargné, selon lui, le pays de ces scandales. Lui aussi conteste la constitution du liquidateur en tant que partie civile, et se déclare pessimiste quant à l'indemnisation de son entreprise, du fait qu'il y a encore 40 000 déposants qui attendent d'être remboursés. Il appelle le liquidateur à déposer une plainte pénale contre les personnes et les entités qui ont bénéficié d'un crédit dans des conditions douteuses, et de ne pas se contenter des actions au commercial. Défendant les intérêts de l'OPGI de Hussein Dey, Me Aïssaoui précise que l'office, mis en confiance par l'agrément délivré par la Banque d'Algérie à El Khalifa Bank, a fini par perdre 700 millions de dinars, placés pour les intérêts avantageux offerts par la banque. Me Boukrine Brahim, avocat de l'entreprise de ciment et dérivés de Chlef, estime que celle-ci a été victime d'une malversation et d'une escroquerie. Les mêmes propos sont tenus par Me Madani, avocat de l'agence foncière de Aïn Témouchent, qui a perdu 100 millions de dinars. Pour lui, ce préjudice menace lourdement l'existence même de l'agence, confrontée quotidiennement aux entrepreneurs qui lui réclament leurs dus. « Nous sommes non seulement victimes d'abus de confiance, mais également menacés de dissolution si notre argent n'est pas restitué », conclut Me Madani. « La Banque d'Algérie ne peut être acceptée au sein de la famille de la partie civile » Me Djadaâ Abdelaziz, agissant pour le compte de la mutuelle de l'industrie pétrolière, avance 3 milliards de dinars de préjudice. Il affirme que ces fonds appartiennent aux 90 000 adhérents de la mutuelle et pour lui, la responsabilité de cette affaire incombe en premier lieu à la Banque d'Algérie, qui a assuré, selon lui, une couverture à Khalifa, à travers son silence quant aux nombreuses violations de la loi sur la monnaie et le crédit. Me Mohamed Benchenna, avocat de l'OPGI de Oum El Bouaghi, trouve pour sa part qu'il est difficile de croire que Abdelmoumen Khalifa puisse être l'unique instigateur et organisateur de l'empire qu'il a construit. L'avocat s'interroge comment les institutions de l'Etat n'ont-elles pas réagi aux grandes opérations de sponsoring, à coup de milliards en devises, menées à l'étranger. Il note, néanmoins, que le procès est loin d'être politique puisque, dit-il, les audiences ont montré qu'il est purement pénal. Me Soual Kamel, plaidant pour trois entreprises, Cash, Filtrans et Catering, ayant perdu respectivement 71 millions, 80 millions et 220 millions de dinars, indique qu'il existe des sociétés et des personnes physiques qui ont placé leur argent d'une manière honnête et intègre dans le seul but de fructifier leurs fonds. « Ils ont été mis en confiance par l'agrément délivré par la Banque d'Algérie à El Khalifa Bank. Nous voulons savoir aujourd'hui qui va assumer le préjudice, la liquidation, l'Etat ou les personnes qui sont au box des accusés ? Pour nous, le principal responsable est la Banque d'Algérie, l'institution chargée du contrôle bancaire, et qui garantit la sécurité des placements. Si la commission bancaire avait informé les gens des violations de la loi par El Khalifa Bank, aucun citoyen ni aucune entreprise n'auraient effectué des dépôts », lance Me Soual. Son confrère, Me Dahou, avocat du CTC de Chlef, se demande comment l'Etat a-t-il pu être aussi conciliant à l'égard d'El Khalifa Bank et lui délivrer l'agrément. Il se lance dans une longue gymnastique pour expliquer qu'en 1997, lorsque « l'Algérie était un pays infréquentable, mis sous embargo par la France, le système avait besoin d'un privé comme Abdelmoumen pour pénétrer le patronat français, faire des affaires avec lui et l'amener à faire pression sur les politiques pour revenir en Algérie et pousser les autres Etats de l'Europe à faire de même. La presse aurait dû jouer son rôle et révéler les malversations de cette banque au peuple algérien… Elle aussi a une responsabilité. » Il sort du sujet et se plaint des journalistes qui présentent les avocats en deux catégories, les petits que l'on voit souvent au procès et les grands qui prennent les grandes affaires… perdues. La présidente lui fait remarquer que la tribune est celle du droit et non des mises au point. Me Benaâbid Khadidja, agissant au nom de Zayane Seddik, un déposant qui a perdu 10,3 millions de dinars, les économies de plusieurs années de sacrifices, met en relief le caractère flagrant de l'escroquerie dont a été victime son mandant. Me Abet, avocat de l'OPGI de Béjaïa, souligne que dans cette affaire même les animaux n'ont pas échappé à l'escroquerie de Abdelmoumen, en faisant référence aux pertes du parc zoologique de Ben Aknoun à Alger. « Le séisme Khalifa a touché non seulement les personnes, les entreprises, l'Etat, mais également les animaux, et les sinistrés de Bab El Oued. C'est une opération d'escroquerie à grande échelle », révèle l'avocat. Me Madani Abdelhak, avocat du Cneru d'Alger, qui a perdu 200 millions de dinars, trouve lui aussi que la responsabilité de la Banque d'Algérie est entièrement engagée à travers l'agrément qu'elle a délivré à El Khalifa Bank, alors que la création de celle-ci est basée sur de faux documents. « La Banque d'Algérie est entièrement responsable à travers son silence quant aux nombreuses violations de la loi par Khalifa », dit-il. L'avocat du port d'Oran, qui a perdu 600 millions de dinars, celui de l'OPGI de Blida, Me Bouzourine, qui affirme que l'office a perdu 690 millions de dinars, axent leurs interventions sur les préjudices financiers que leurs entreprises ont subis. Mes Benyahia Hakim, avocat de l'OPGI de Sid Bel Abbès, Yaïche Djenat, de la mutuelle des postes et télécommunications (90 millions de dinars de perte), et Henni El Houaria, de la commission nationale des œuvres sociales des travailleurs de l'éducation (500 millions de dinars), plaident pour l'indemnisation de leurs mandants du fait qu'ils ont été escroqués par El Khalifa Bank. Me Yaïssi Boualem, avocat de l'entreprise de navigation aérienne (perte de 50 millions de dinars), déclare refuser que la Banque d'Algérie se place parmi la famille de la partie civile, du fait qu'elle est, selon lui, responsable de la catastrophe Khalifa. L'avocat du complexe avicole de Skikda, ayant perdu 110 millions de dinars, Me Saâdi Madjid, avocat des OPGI de Batna, Tamanrasset et Annaba, ainsi que Me Guelaz, avocat de l'EGT Tipaza, CET et ERB Réghaïa, demandent au tribunal de leur accorder leur constitution en tant que partie civile, alors que le juriste de l'OPGI d'Oran et de Boumerdès, M. Lazaât, affirme avoir été victime d'une escroquerie. Me Hadjar, représentant le Fonds national de péréquation des œuvres sociales (FNPOS), la mutuelle de la construction et de l'urbanisme, ainsi que la Caisse des congés payés pour les travailleurs du bâtiment et de l'hydraulique (Cacobatph) estime que les pertes de ces entités sociales ont été très lourdes. Elles sont de l'ordre respectivement de 1 milliard de dinars, 45 millions de dinars et 2,22 milliards de dinars. A signaler que la présidente a décidé de prendre les mesures nécessaires, dès samedi prochain, contre les accusés qui étaient absents hier de l'audience. La défense lui a demandé un congé pour la journée de jeudi, dans le but de se préparer pour les plaidoiries. La décision leur sera donnée aujourd'hui, à la reprise de l'audience. Il est prévu à ce titre la plaidoirie de Me Meziane en tant que partie civile représentant El Khalifa Bank liquidation, suivi du réquisitoire du parquet général.