Le rédacteur en chef du Monde Diplomatique, auteur de L'Islam, la République et le monde (lire El Watan du 23 septembre), dresse un tableau peu reluisant de la presse et du monde politique français. Il s'insurge contre la théorie du choc des civilisations. Pour ce laïc convaincu, l'Islam est parfaitement soluble dans la république, si l'Etat lui en donne les moyens. Dans votre livre, vous dites que le voile islamique est un cache-misère social, que la presse met en avant le problème du port du voile à l'école et occulte les véritables enjeux sociaux (retraites...). La loi sur la laïcité à l'école est-elle, selon vous, fortuite ? La loi sur la laïcité à l'école n'est pas fortuite, mais elle entre dans un cadre islamophobe, né après le 11 septembre 2001. Le voile n'est pas le véritable enjeu. Il y a des dizaines d'exclusions de filles voilées et certaines ont quitté d'elles-mêmes l'école à cause de cette loi. Pourquoi les rendre deux fois victimes ? D'abord le voile, puis l'exclusion. Quel est ce cadre islamophobe ? La parole sur l'Islam s'est libérée. C'est une continuité des phobies racistes de la période coloniale et postcoloniale. C'est le vieux discours de l'extrême droite : « Les Arabes fourbes ne travaillent pas, violent nos filles... » Ce discours ne concerne pas les autres musulmans, comme les Noirs africains, mais spécifiquement les Arabes. Prenez l'exemple des tournantes dans les banlieues (filles abusées sexuellement par plusieurs personnes, ndlr) : ce phénomène est en régression, et pourtant les médias le montent en épingle. Comme pour dire que cette sexualité débridée est due à l'Islam. Ce qui est complètement faux. Quelle est, selon vous, la place de l'Islam en France ? Le problème n'est pas de critiquer l'Islam. Or, on fait comme si tous les pratiquants sont censés avoir le même comportement. On veut faire croire que la violence est due à l'Islam, et que cette religion n'est pas soluble dans la République. Nous assistons à l'incapacité de la République d'intégrer, de donner la chance à tout le monde, aux enfants d'immigrés. Depuis 20 ans, nous vivons une crise d'identité : qu'est-ce que d'être Français ? Il y a la création de l'Union européenne, la mondialisation, alors que l'Union soviétique est tombée. Tout cela met à mal l'identité. On focalise contre un ennemi créé de toutes pièces : l'Islam. 90% des musulmans ont d'autres problèmes que l'Islam : le travail, le logement et le racisme. La France doit donner des moyens dignes à la pratique de cette religion. On assiste à la montée en puissance d'associations musulmanes dans l'affaire des journalistes français détenus en Irak. Que représentent réellement ces associations ? L'Etat français a besoin d'un représentant du culte musulman, pas d'un représentant des musulmans. L'Etat ne doit pas accepter que ces associations soient les porte-parole des musulmans. On est loin du choc des civilisations... Il y a un danger terroriste, comme Al Qaîda, qu'il faut combattre. Nous ne sommes pas dans une guerre mondiale, stratégique, mais plutôt policière. Ce n'est pas comme l'époque de l'URSS où deux superpuissances s'affrontaient. Il n'y a pas de choc de civilisations. Selon vous, l'Algérie a raté sa sortie de crise à Rome... Le débat algérien a beaucoup pesé en France. Que faire des groupes islamistes dans le monde musulman ? Il faut les intégrer dans la démocratie participative, en excluant les groupes qui usent de la violence.