Deux élèves du collège de Montfermeil ont été exclues pour port du foulard par décision du Conseil d'administration du 14 décembre 1990. Saisi d'un recours en annulation contre cette décision, le Tribunal administratif de Paris a, par jugement du 2 juillet 1991, rejeté le recours, estimant que « leur attitude (refus d'enlever le foulard, NDA) présente un caractère ostentatoire et revendicatif de nature à perturber le déroulement des activités d'enseignement, notamment celle de l'éducation physique, ainsi que le fonctionnement normal du service public de l'enseignement dans l'établissement dont il s'agit... »(18). On voit mal, quant à nous, en quoi le port du foulard peut-il perturber le service public comme il est dit. N'ayant aucune incidence sur le programme pédagogique, il ne peut prétendre à remettre en cause la laïcité en tant qu'option consistant en la séparation de l'autorité spirituelle de l'autorité temporelle dans la vie publique. Cela dit, l'acharnement contre le foulard, qu'on appelle islamique, relève d'un débat biaisé, générateur d'amalgames, voire de dérives. C'est pourquoi la question du foulard devrait être gérée dans le cadre d'un débat d'idées tendant à persuader et convaincre, non par une « juridisation » à outrance de la vie publique car comme le dit si bien l'adage latin : « Summum jus summa injuria. 5- Cinquième forme de dérive, les déclarations publiques hostiles à l'Islam et aux musulmans. » a- D'abord en Italie, c'est au garde des Sceaux, Roberto Castelli, de mettre le feu aux poudres en tenant, en septembre dernier, des propos franchement hostiles à l'Islam et aux musulmans lors du meeting annuel de son parti, la Ligne du Nord (droite), tenu à Venise. Il s'est ainsi exprimé : « Ce n'est pas nous qui sommes contre l'Islam, c'est l'Islam qui est contre nous. Ils veulent (les musulmans, NDA) nous effacer. »(19) Poursuivant l'escalade, il donne de l'Islam une image manifestement erronée quand il dénie le caractère civilisationnel à cette religion. « Nous ne sommes pas en présence d'un choc de civilisations, car l'Islam n'est pas une civilisation. » (20) Au lecteur de mesurer la portée de la dérive. Certes, Castelli s'est exprimé en tant que représentant d'une tendance politique, mais en sa qualité de garde des Sceaux de la République, il induit immanquablement la politique de son gouvernement et l'engage : c'est le principe de la solidarité gouvernementale. Rien, en tout cas, ne justifie de telles déclarations. Le bon sens, la retenue et surtout le devoir de vérité auraient commandé au ministre de la République d'éviter les égarements et de se montrer juste envers les événements pour reconnaître les mérites de l'Islam dans l'épanouissement de la pensée humaine. b- Dans le nord de l'Europe, un parti suédois se permet tout simplement de demander que les enseignants soient les auxiliaires de la police et guettent les élèves et les étudiants musulmans chez qui, disent ces milieux, « il y a une propension à l'extrémisme »(21). Le verbe « espionner » utilisé par le quotidien El Khabar, auteur de cette source, sied parfaitement à cette situation. Quant à la notion de « propension à l'extrémisme », éminemment subjective, elle pèche par son caractère aussi bien fluctuant et fragmentaire qu'immoral et illégal, et ne peut servir de mobile à l'action réclamée, tant elle traduirait une mesure perverse contraire à l'éthique de l'enseignement et aux principes élémentaires des droits de l'homme. 6- Après les déclarations publiques, les œuvres hostiles à l'Islam. a- C'est en Italie que s'est fait signaler l'œuvre écrite la plus abjecte avec la publication en juin 2005 par la journaliste et écrivaine Oriana Fellaci de son livre La force de raison. Dans son livre, qui n'a de raison que le nom, l'auteur brille par sa myopie intellectuelle et se livre à une véritable diatribe contre l'Islam et ses pratiquants, distillant frénétiquement son venin dans l'esprit d'une frange de lecteurs avides du sensationnel. Elle s'adresse non pas à la raison comme le suggère le titre de son livre, mais aux sentiments censés donner une caution à son œuvre rétrograde. Ce faisant, cet auteur se rend coupable d'un double péché : l'usurpation et l'imposture. Ainsi, après ce qu'elle appelle « islamisation », « arabisation » de l'Europe et « invasion islamique »(22), Fellaci donne libre cours à ses instincts, qualifiant la procréation chez les musulmans « d'arme plus grave que la bombe nucléaire ». Elle pousse plus loin son zèle pour qualifier les musulmans de « rats » et gens « hostiles à la démocratie et à la liberté et incapables d'assimiler ces deux concepts... »(23). Poursuivie pour diffamation par une association musulmane pour ses propos gravissimes, Fellaci se voit protégée par le ministre de la Justice, Roberto Castelli (encore lui), qui fait bloquer deux projets de loi contre la xénophobie élaborés sur la base d'une directive de l'Union européenne(24). b- Aux Etats-Unis, cette fois-ci, c'est au dictionnaire américain Webster de connaître sa dérive quand, piétinant toutes les valeurs académiques et ignorant toute recherche objective, donne de « l'Arabe » la définition de « violent, paresseux, parasite et de mendiant »(25). Réagissant à cet écrit abject, l'Union des avocats arabes condamne fermement cette dérive et se réserve le droit de poursuivre en justice. 7- Autre dérive, l'expulsion frénétique d'Europe d'immigrés de confession musulmane. Après l'Allemagne qui étudiait les moyens d'incarcérer « les islamistes » « par sécurité »(26) ,et ce, au mépris de la présomption d'innocence, voilà que Londres se prépare à renvoyer des étrangers musulmans incarcérés sans procès depuis le 11 septembre 2001 pour bon nombre d'entre eux(27). C'est au tour de l'Italie de les imiter en dressant une liste de 700 personnes jugées « dangereuses pour l'ordre public »(28), sans griefs précis retenus contre elles. On reste sur le terrain de la suspicion, élément psychologique subjectif qui est loin d'être assimilé à l'inculpation seule imputant des faits précis et permettant le recours aux mesures coercitives. Quelques mois auparavant, la France avait expulsé l'imam Bouziane de Vénissieux(29) pour avoir émis une opinion sur le traitement des femmes, jugée constitutive d'une infraction pénale par les autorités françaises. Loin de tenter de défendre l'opinion de Bouziane - que nous ne partageons d'ailleurs pas -, nous trouvons déplacée et inopportune cette tendance à la « pénalisation » à outrance des aspects de la vie publique et au rattachement à tout prix de certains de ces aspects à une incrimination destinée, en fait, à d'autres comportements. Il y a des domaines d'idées qui ne peuvent être traités que par le dialogue, la persuasion et la preuve du contraire par les arguments. 8- La presse n'est pas restée indemne de cette campagne. Une véritable cabale est menée contre les journalistes et organes de presse musulmans jugés subversifs et même peu coopératifs avec les intérêts occidentaux. a- C'est à la chaîne de télévision satellitaire El Manar, émettant à Paris, d'être la première à faire les frais de cette campagne. En juillet 2004, les autorités audiovisuelles françaises ont décidé de suspendre l'activité de cette chaîne(30). La main de Washington paraît acquise dans cette affaire puisque 3 mois plus tard, Washington inclura cette chaîne dans la liste des « organisations terroristes » (31). b- Plus triste est le sort réservé au correspondant de la chaîne Al Djazira à Madrid, Teysir Allouni, condamné le 25 septembre dernier par un tribunal espagnol chargé des affaires du terrorisme à 7 ans de prison pour « collaboration avec une organisation terroriste »(32). Cette condamnation est jugée fantaisiste par les instances de la presse(33) et l'arrestation qui l'a précédée d'arbitraire et qui n'obéit qu'à des impératifs politiques inavoués(34). Les Occidentaux n'ont pas, sous la pression américaine, pardonné à Allouni le fait d'avoir interviewé (il est le premier à le faire) Oussama Ben Laden. On confond gravement faire son travail de journaliste, c'est-à-dire informer, avec « soutien au terrorisme ». D'ailleurs, les motifs du jugement de condamnation sont fragiles et sont construits sur d'autres faits qui ne résistent pas à l'analyse. Le lecteur peut consulter les motifs sur le site Internet(35). c- Toute récente est l'information révélée le 22 novembre dernier par le journal londonien Daily Mirror, reprise le jour même par la chaîne Al Djazira, selon laquelle les Américains avaient projeté de bombarder en 2004 les locaux de la dite chaîne à Doha et certaines de ses antennes dans le monde. Motif : l'administration américaine est exaspérée de voir la chaîne qatarie assurer une couverture sérieuse par l'image des bombardements intensifs par les Américains de la ville irakienne d'Al Felloudja en juin 2004 et des effets de ces attaques sur la population. Le gendarme du monde se veut aussi gendarme de l'image. Ce plan d'attaque d' Al Djazira a fait l'objet, comme le titre El Watan, d'une « condamnation unanime des médias arabes »(36). 9- Enfin, dernière dérive traitée dans cet article, les obstacles politiques contre les musulmans. En Russie, le Kremlin avait, le 1eroctobre dernier, opposé un refus net à la nomination d'un musulman au poste de vice-président de la Fédération de Russie comme le demandaient les musulmans de Russie(37). (*) L'auteur est ancien magistrat, Ancien journaliste. - Notes de renvoi 18) Tribunal administratif de Paris, 6e section, 1er Ch, 2 juillet 1991, reg no 9009 588, La semaine juridique- JCP-, no 17, Il, 21837, 22 avril 1992, p.131. 19) El Watan, 20 septembre 2005. 20) Ibidem 21) El Khabar, 24 septembre 2005. 22) Op. cit, 1er août 2004. 23) Ibidem 24) El Watan, 14 juin 2005. 25) El Khabar, 16 août 2005 26) Le Quotidien d'Oran, 26 avril 2004. 27) Ibidem 28) El Watan, 8 septembre 2005. 29) Le Quotidien d'Oran, 6 octobre 2004. 30) El Khabar, 22 décembre 2004. 31) Op. cit, 19 décembre 2004. 32) Op. cit ; 26 septembre 2005 ; El Watan, 27 septembre 2005. 33) Cf. www Al Djazira.net. 34) Cf. L'Expression, 18 septembre 2005 ; El Khabar, 18 septembre 2005, El Watan, 19 septembre 2005. 35) Cf. www Al Djazira.net 36) El Watan, 24 novembre 2005. 37) El Khabar, 2 octobre 2005.