La cité de Londres est considérée comme étant le « sanctuaire de l'argent sale ». La mission parlementaire française sur le blanchiment d'argent en Europe, conduite en 2002 par le député socialiste M. Peillon, relève que la plus grande « place financière du monde demeure particulièrement vulnérable » au blanchiment des capitaux. Le rapporteur de cette mission, Arnaud Montebourg, justifie cette appréciation par les millions d'opérations qui s'y traitent quotidiennement, la variété des produits financiers et la permissivité de la législation, notamment sur les trusts, et l'absence de réglementation de certaines professions financières. Le dispositif antiblanchiment mis en place par le Royaume-Uni a fait l'objet de critiques de magistrats de toute l'Europe et même de la police. La création en 1997 de la Financial Services Authority pour réguler les services et les marchés financiers a donné lieu, note la mission, quatre ans après, à un « maigre bilan » et pour cause la « non-participation d'un grand nombre de banques qui ne font aucune déclaration de soupçon » alors même que « leurs systèmes de détection et de prévention du risque de blanchiment présentent de ‘‘graves lacunes'' ». Les critiques du rapport portent sur l'inefficacité des instruments de coopération judiciaires mettant davantage en cause le Home Office (ministère de l'Intérieur) que le Serious Fraud Office (SFO), organisme gouvernemental « indépendant » faisant partie du système de justice pénale. La collaboration de celui-ci est jugée exemplaire. Pour rappel, le SFO a été sommé en janvier dernier, par le Premier ministre Tony Blair, de mettre fin à ses investigations sur une affaire de corruption visant le groupe d'armement anglais BAE Systems et l'Arabie Saoudite. Des pots-de-vin auraient été versés dans le cadre d'un contrat géant de vente d'armes — Al Yamamah — (signé entre Londres et Riyad dans les années 1980) à des membres de la monarchie saoudienne. La décision « controversée » de Tony Blair a fait réagir le groupe de travail sur la corruption, mis en place par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dont le Royaume-Uni est membre et signataire de la convention contre la corruption. Notons, à ce titre, que l'enquête sur Rafik Khalifa n'a pas été confiée au SFO, mais plutôt à Scotland Yard. Faut-il y voir un quelconque sibyllin message ? L'annonce avant-hier par Scotland Yard de l'ouverture tardive d'une enquête sur Rafik Khalifa, suite à des « soupçons » de blanchiment d'argent, ne conforte-t-elle pas ceux qui ont déjà eu à déceler les failles du système financier et judiciaire britannique dans la lutte contre le blanchiment d'argent ? Les transferts à l'étranger de sommes astronomiques provenant des avoirs des grands et petits déposants nationaux, opérés par Khalifa, comme nous le révèlent les audiences du tribunal de Blida, expliquent en partie le silence coupable qu'observent les places financières européennes, et britannique, vis-à-vis de ce qui s'apparente désormais à du blanchiment de fonds. Les transferts irréguliers du groupe Khalifa vers l'étranger en différentes monnaies s'élèvent, selon une enquête publiée par Jeune Afrique l'Intelligent, à 362,7 millions d'euros, 523,8 millions de dollars et, enfin, à 94,3 millions de francs français (14,3 millions d'euros). Invité de la Chaîne II en janvier dernier, Djilali Hadjadj, président de l'Association de lutte contre la corruption, a qualifié la Grande-Bretagne de « mauvais élève » de la lutte contre la corruption. Citant pour arguments le non-respect par ce pays des dispositions des conventions de l'OCDE et des Nations unies pour la lutte contre la corruption. Précisant que l'article 40 cette convention ouvre une brèche pour faciliter l'extradition dans le cadre de la lutte contre la corruption. Ce qui fait dire à M. Hadjadj que « Londres n'a pas la volonté d'extrader Rafik Khalifa ». Etabli à Londres depuis 2003, l'ex-patron du groupe Khalifa continue à bénéficier jusqu' à aujourd'hui de la protection du gouvernement, de fonds et biens, dont c'est un secret pour personne qu'ils étaient mal acquis. Des biens qui lui permettent encore de mener un train de vie fastueux. Il reste à savoir maintenant si l'attitude de la Grande-Bretagne, connue comme étant réfractaire à toute coopération judiciaire, a effectivement évolué dans le sens que souhaite le gouvernement algérien, surtout avec la signature en juillet 2006 de conventions portant notamment sur l'extradition et l'entraide judiciaire en matière pénale, civile et commerciale, et l'échange le 25 février dernier d'instruments de ratification ? Une évolution qui peut-être justifierait l'initiative des autorités britanniques d'ouvrir une enquête même tardive motivée par d'évanescents « soupçons » de blanchiment.