Comme une cérémonie des adieux parce qu'ils ne savent pas si la prochaine fois ils pourront aligner une seule image... Cette année, c'est le Nigeria qui a remporté le grand prix et attiré des milliers de spectateurs dans le stade de cette ville grise, assommée de soleil, lors de la cérémonie de clôture. C'était l'Afrique du Sud le vainqueur du Fespaco 2005. Et le président Thabo Mbeki, conforté par l'Oscar du meilleur film étranger de Totsi, le film Cavin Hood avait déclaré : « Nous sommes à l'aube de l'âge d'or du cinéma sud-africain. » L'Afrique du Sud : pays d'abolition non seulement de l'apartheid mais aussi des contraintes, des censures, des soucis faits aux cinéastes ? C'est sans doute vrai. L'Afrique du Sud, comme le Nigeria, est un pays riche, une grande économie (or, diamants, charbon, pétrole). Ces deux pays africains sont en train de creuser leur marques dans le domaine de la création cinématographique. La comparaison est impossible avec les autres pays d'Afrique, où les cinéastes doivent se transformer en prestidigitateurs pour espérer faire leurs films. Le cinéma ne bouge pas à l'Est comme à l'Ouest. L'économie nationale est souvent au plus bas de l'échelle (voir les pillages des richesses d'Afrique dans Bamako, le film d'A. Cissako). Et les dirigeants, bien assis sur leur trône, prennent souvent les cinéastes pour des barbares qui feraient mieux de changer de métier. Demeurés seuls dans leur malaise, avec tous les maux du continent, une question simple et évidente se pose à eux : Qui va financer leurs films ? La première attraction, c'est l'Europe. Mais c'est un terrain douteux. Les rares producteurs européens, qui manifestent de l'intérêt pour l'Afrique, sont souvent des gens nostalgiques de l'ère coloniale. Il faut montrer les villages africains à l'assaut de leurs ancêtres, de leurs traditions archaïques quand la puissance coloniale arrive pour tracer la voie du progrès... A l'heure des comptes, les cinéastes africains, partis pour raconter une histoire moderne, dans un esprit libre et offensif, se retrouvent avec des scénarios coupés, remaniés, désinfectés de leur propre liberté de pensée et de création. C'est le sort fataliste de beaucoup de films réalisés par des cinéastes africains avec de l'argent européen. Une vision touristique du continent, des clans du même village qui s'affrontent, dans une atmosphère baignée de misère et de croyances locales. Ce sera ainsi, tant que les Etats africains s'abstiendront lâchement d'aider leur production nationale. Dilemme typique : rester en Afrique où le statu quo est accablant ou aller en Europe pour se mettre au service de la vision occidentale. Au Burkina, siège du Fespaco, une vision radicalement novatrice s'est produite dans les années 1980, à l'époque du brillant leader Thomas Sankara. Ce président-cinéphile, disparu tragiquement dans un coup d'Etat, avait beaucoup aidé le cinéma national et créé une école de formation pour les jeunes réalisateurs. Tout cela n'a pas survécu à son esprit d'avant-garde. L'heureux rouage, qui faisait beaucoup d'envieux en Afrique (formation, production, diffusion), a disparu du Burkina. Aujourd'hui, à Ouaga, comme partout ailleurs, un ballon rond vaut mieux qu'une bobine de film.