Depuis la Drôme, l'homme au grand succès du Passé simple (1954) témoignait avec vérité sur l'exil, sur la situation des siens, et par son expérience enrichissante d'homme entre deux rives, il parlait de la vigueur des cultures, loin du choc des civilisations que certains ont trop voulu mettre en avant ces dernières années. Installé là depuis des années, pendant longtemps, l'écrivain n'avait refusé aucune invitation à s'exprimer, dans des conférences où sa rage de critiquer la société était érigée en credo. Dans sa région d'accueil, le public en redemandait. A partir du début des années 1990 pourtant, il sortait beaucoup moins, ayant renoncé à répondre positivement à toute demande d'intervention. C'était le temps de la retraite après une vie professionnelle bien remplie, du repliement sur sa famille, peut-être le temps de la réflexion sur soi, au terme d'un parcours atypique. Le retour, pour lui à une certaine tranquillité, loin du tumulte d'une vie en errance. Les associations culturelles ou à thématiques sociales ou solidaires, nombreuses dans le sud de la France, auraient bien aimé lui donner encore la parole, surtout lorsque les événements se sont précipités en Algérie avec les phases de violence que le pays a connues, ou le Maroc de la transition entre Hassan II et Mohammed VI. Certains auraient bien voulu connaître son sentiment après le 11 septembre 2001, ou plus récemment avec la crise des banlieues qui a donné racine à tellement de débats sur la place de l'Immigration en France, figure de proue de l'actuelle élection présidentielle. Lui se consacrait plutôt à tirer ses dernières cartouches littéraires, avec une série de romans policiers mettant en scène l'inspecteur Ali. Il était désormais là où on ne l'attendait plus. Mais ces dernières années, le passage de l'an 2000 consommé, il avait publié une autobiographie au titre évocateur qui le ramenait aux origines Le monde à côté (Denoel 2001). Auparavant, il avait évoqué du Maroc des années 26 à 47… celle de sa première vie dans Lu, vu entendu (1998). Peut-être voulait-il solder ce qui venait avant son parcours en Occident, heurté et déchirant. Ce chemin poignant qu'il avait retracé des années auparavant, en 1962, dans La succession ouverte, l'un de ses plus émouvants opus. L'écrivain avait voulu y exorciser les démons du regret inavoué d'avoir quitté les siens. Il raconte la barrière infranchissable que le personnage Driss Ferdi ressent désormais entre lui et son pays. Tant on s'approche de la limite avec soi-même, qu'on y succombe. Jadis révolté contre son père, le vieux seigneur, il avait fui sa famille, rêvant de mordre à pleines dents la civilisation occidentale. Apprenant la mort du paternel, il rentre au pays où il se sent désormais tellement étranger, mais il goutte le plaisir de retrouver des racines qui lui sont désormais lointaines. Autobiographique ou imaginaire, on retrouvait là toute la force de la pensée de l'un des auteurs majeurs de la littérature maghrébine du XXe siècle. Dès lors, l'auteur s'était consacré à tisser de nouvelles racines en extraction, dans cette Drôme où il est décédé dimanche dernier.