Un colloque intitulé « Un homme dans son temps » a été organisé, vendredi 30 mars, à l'auditorium de l'Hôtel de ville de Paris à la mémoire de Me Ali Boumendjel, assassiné le 23 mars 1957, et ce, à l'initiative de sa famille et sous la présidence de Mme Simone Paris de Bollardière qui a rappelé que son mari « a fait acte de désobéissance et a été mis aux arrêts en même temps qu'Henri Alleg, Ali Boumendjel, Maurice Audin étaient torturés ». Avec des invités d'honneur comme le président du FFS, Hocine Aït Ahmed, Henri Alleg, Mme Marie Capitant et Mme Josette Audin. La commémoration du 50e anniversaire de l'assassinat d'Ali Boumendjel, une séquence mémorielle du passé colonial de la France en Algérie montre combien la question de la reconnaissance de ce passé par l'Etat français est une question récurrente, en France, dans les rapports de l'Etat français avec la société dans ses différentes composantes, mais aussi dans ses rapports avec les anciennes colonies, en particulier l'Algérie. Une question qui a besoin de réponses sereines, dictées par la justice et l'équité, comme la reconnaissance de l'assassinat d'Ali Boumendjel, présenté comme un suicide alors que son tortionnaire, Paul Aussaresses, en a clairement fait l'aveu. « Si nous exigeons la vérité et la réhabilitation d'Ali Boumendjel », c'est pour que « justice lui soit rendue et que notre deuil soit achevé. Nous sommes dans l'attente d'un pardon qui doit être adressé à l'ensemble du peuple algérien par l'Etat français, pardon sans lequel il ne peut y avoir de traité d'amitié », affirme, Sami Boumendjel, fils d'Ali Boumendjel. A l'UDMA, Ali Boumendjel avait participé à la définition d'une nation algérienne incluant toutes les composantes communautaires d'Algérie, rappelle la jeune historienne Malika Rahal, ajoutant qu'il avait milité pour un rapprochement entre les différentes sensibilités du mouvement nationaliste. « Qui est responsable de la guerre ? » « Cet homme nous manque comme nous manquent beaucoup d'autres qui avaient ses engagements et ses capacités », souligne Mohamed Harbi. L'historiographie de la guerre d'Algérie est marquée par l'histoire coloniale ou nationaliste, indique l'historien, tout en signalant qu'un renouveau est en train de s'opérer. Dans son exposé sur le nationalisme algérien de 1954 à 1958, Mohamed Harbi souligne qu'« à la veille de 1954 on pouvait distinguer plusieurs courants dans le nationalisme : laïc, avec Ferhat Abbès, musulman incarné par la classe cléricale, populiste, communiste… Ces courants n'ont pas dépassé leurs clivages idéologiques. » Et d'ajouter que « les luttes civiles que connaîtront les Algériens sont inscrites dans cet héritage. » Et sur l'insurrection armée, il précise que « le succès n'a pas été immédiat, il a fallu attendre 1956 avec tous les drames des Aurès pour que la société se mette réellement en mouvement » et réponde aux vœux de ceux qui appelaient à l'insurrection… « La politique française (de répression à l'encontre des responsables nationalistes, ndlr ) va conduire à la reconstruction de l'encadrement du FLN au plus bas niveau ». Il s'élève contre ceux qui, en France, parlent de « guerre contre le FLN, il s'agissait en réalité de guerre contre la population ». Et aussi « le FLN, c'est un ensemble de plusieurs courants, de plusieurs visages ». « A part sa direction, ce n'est pas une organisation de type pyramidal, mais un assemblage de pouvoirs locaux. Avec l'affaiblissement des villes, le clientélisme devient une donnée fondamentale de la vie politique algérienne. » Et l'historien de poser une question fondamentale : « Qui est responsable de la guerre ? En France, dans tous les débats, on parle des horreurs de la guerre mais pas de la responsabilité des partis politiques français dans la conduite de la guerre et de sa durée ». « Dérobade » Benjamin Stora abonde dans le même sens en relevant qu'en France on fait mention de la torture, des déplacements de la population, mais on évacue la responsabilité politico-étatique. L'historien parle de « dérobade » Très peu de travaux dans l'historiographie française portent sur les rapports entre l'armée et le pouvoir politique, constate-t-il. Et de relever que l'armée française s'est progressivement imposée au pouvoir politique. « Ce recul du pouvoir politique, c'est la gauche qui l'a instauré par les pouvoirs spéciaux en mars 1956 ». « La bataille d'Alger c'est la prise du pouvoir par les militaires ». « L'armée devient une force politique dans le sens classique du terme ». Après 1962, un consensus a été forgé en France visant à construire un oubli, dit Benjamin Stora. Et « la question de la reconnaissance par l'Etat français est très problématique ; il me paraît difficile d'établir des relations apaisées entre les deux Etats s'il n'y a pas à partir d'exemples concrets de reconnaissance », conclut Benjamin Stora. « Ali Boumendjel a contribué à donner un projet politique au mouvement de libération de l'Algérie, moi, en tant que responsable politique, députée, je veux armer les jeunes de manière à ce qu'ils donnent un contenu politique au sentiment d'injustice qu'ils ressentent », a affirmé Christiane Taubira. Et de préciser que pour des raisons éthiques (exception faite pour cette présente rencontre), elle a décidé de ne plus participer à des débats sur la colonisation française à Paris : « Ils ont fait rage, nous sommes allés au fond des choses. Nous avons pu mesurer la crispation d'une partie des universitaires et du pouvoir universitaire sur ces questions…L'approche n'est plus académique ; dans la communauté française, des millions de personnes sont concernées par cette histoire et sont partie prenante du destin de la France. » Christiane Taubira observe que « la tradition d'amnistie en France fait que le rapport de la justice à l'homme est un rapport perturbé ». Elle relève un « effet boomerang » avec les catégories construites (indigènes, franco-musulmans…). Elle précise : « L'histoire de la guerre d'Algérie m'a servi de substitution et m'a permis d'exprimer ce désir de dignité et de grandeur. J'ai découvert des noms d'Algériens parmi les bagnards de Guyane, comme Boumaza. J'ai découvert qu'il y avait militants anticolonialistes au bagne, des hommes qui s'étaient levés contre l'oppression. » « Un Guantanamo avant l'heure » Dans un message, Noël Mamère rappelle qu'il a déposé, en mars 2001, à l'Assemblée nationale, un texte sur la responsabilité du Parlement sur le vote des pouvoirs spéciaux en 1956. « Le Parlement doit faire le bilan de la loi du 16 mars 1956. Cette demande de commission d'enquête doit être portée par la nouvelle majorité », écrit Noël Mamère. Selon le député de Gironde, la question du colonialisme est actuelle. « Il faut qu'il y ait une visibilité politique des conséquences de la guerre d'Algérie en France. C'est en notre nom qu'on a torturé, c'est en notre nom qu'on doit réparer ». Développant le thème de la justice dans le système colonial, notamment à partir du vote des pouvoirs spéciaux, Antoine Comte, avocat conseil de la famille Boumendjel parle d'« un Guantanamo avant l'heure ». La loi du 16 mars 1956, ce sont trois décrets d'application, résume l'avocat, portant sur l'assignation à résidence, l'élargissement des compétences des forces armées ; la traduction directe devant les tribunaux militaires sans instruction et sans délai. Quant à la reconnaissance des crimes coloniaux, « l'amnistie n'interdit pas l'oubli, ni les réparations », avance Antoine Comte, pour ajouter que l'histoire des deux rives est « une histoire des ténèbres qui continue ». Smaïl Gouméziane, ancien ministre du Commerce, démonte le mythe des « bienfaits de la colonisation » pour le peuple algérien, le « beau roman colonial » qui ne résiste pas à la réalité, une réalité faite de spoliation, de misère, chiffres, ouvrages et enquêtes à l'appui. Une réalité que découvre en 1939 le jeune Camus en Kabylie, moins de dix ans après la célébration, avec faste, du centenaire de la colonisation : « Cette misère, je l'ai vue partout, elle me suit partout. Qu'avons-nous fait pour que ce pays retrouve son vrai visage ? » « 80% d'enfants sont privés d'enseignants, un médecin pour 45 000 habitants et pas une infirmière ou visiteuse », constate encore Albert Camus. Smaïl Goumeziane rappelle que si les colons n'avaient trouvé que désolation en 1848, c'est parce que l'Algérie avait été saccagée, les terres fertiles, les villes et villages rasés, les populations exterminées et déracinées par le colonisateur. Ainsi, à l'exemple du général Bugeaud qui reconnaissait qu'« on n'arrive pas à couper tous les arbres ». De la sorte, en semant la désolation et en rasant les terres, le foncier était libéré pour une colonisation de peuplement.