Voilà de nouveau des élections, voilà donc venu le temps pour accorder à notre bonne et vieille dictature le sceau de la légitimité. Une procédure que l'opinion internationale exige, de pure forme, juste pour la bonne conscience des professionnels du discours humaniste qui ne supportent pas l'odeur nauséabonde des contrats qu'ils signent de leur propre main. Comme depuis de nombreuses années dans les colonnes de ce quotidien, c'est aux plus faibles et particulièrement à ceux qui subissent doublement le poids de l'injustice, que je m'adresse, mes compatriotes berbérophones. Je tiens à reproduire l'une de mes premières communications à leur égard, en guise d'apport à cette campagne électorale d'un autre monde. Qu'on ne limite pas le discours envers les berbérophones à un combat spécifique, car, au-delà de ma solidarité envers eux, réelle et sincère, c'est le combat contre cet immonde régime politique qui s'exprime. A chaque réminiscence de la douleur de mes compatriotes berbères, j'éprouve donc le souhait et le devoir de leur témoigner mon entière solidarité. Dans ces moments, j'ai envie de leur répéter inlassablement, si mon engagement militant ne le prouvait déjà, que leur douleur est la mienne. J'ai envie de leur dire, avec l'humilité et la pudeur que les événements exigent, que je les respecte avec la même intensité que toute partie de mon identité. Lorsque l'occasion m'en a été souvent donnée dans ce journal en particulier, j'ai toujours débuté mes paroles en rappelant que je suis Algérien et donc également citoyen de Kabylie, de droit et de cœur. J'ai cette naturelle impression que je suis parmi les miens, lorsque je m'adresse à eux. Ma position serait identique quels que soient le lieu et la communauté, de surcroît lorsque cette dernière a le sentiment de subir une humiliation. Il est intolérable pour tout démocrate de voir cautionner le crime perpétré contre le droit à vivre son identité. Nul n'est né sur cette terre d'Algérie pour imposer aux autres son point de vue sur ce que sont et doivent être la culture et la langue dominantes. Nul ne peut annihiler le droit à quiconque de parler et de s'épanouir avec la langue transmise par ses parents, de perpétuer des pratiques, d'honorer des conventions et de tout simplement vivre sa vie comme on le ressent et comme on l'a héritée. La nation est une communauté de destins, pas un goulag où le plus fort imposerait au plus faible sa conception des choses. Car, s'il fallait imposer des critères stupides comme celui de l'antériorité ou celui de l'histoire pour imposer une culture dominante, certains n'y trouveraient justement pas leur compte. Mais au moment où j'écris ces mots, comme à chaque fois que je l'ai fait dans le passé, j'ai en même temps conscience que les discours de fraternité ne suffisent plus à nos compatriotes bafoués dans ce qu'ils ressentent au plus profond d'eux-mêmes. Ils ont raison, car le discours doit être suivi d'actes concrets et les événements récurrents de Kabylie, de plus en plus sanglants, en démontrent l'urgence. La langue et la culture berbères doivent non seulement être reconnues dans les textes, ce qui est le pas le plus facile, mais aussi et surtout dans les cœurs, ce qui serait plus probant. Contrairement aux espoirs de certains, une simple inscription dans la Constitution, sans autre rapprochement dans les esprits et les cœurs, ne serait que la transposition dans le texte d'un rapport de force qui s'exprime bien dangereusement dans la réalité quotidienne. Mais que faire, lorsqu'on a la seule représentativité de soi-même ? Hurler son indignation devant la bêtise n'a pas suffi. Militer aux plus hautes responsabilités, quelles soient politiques ou associatives, n'a pas plus donné de résultats. Prendre sa plume pour témoigner de son soutien n'en aura probablement guère beaucoup plus comme à chaque fois, mais le devoir et la morale l'exigent. Dès le début, lorsqu'il s'est agit de prendre position pour la reconnaissance de l'identité pleine et entière de mes compatriotes, je n'ai pas hésité un seul instant. Mais combien de déceptions a-t-il fallu surmonter pour finalement n'avoir, seul dans son coin, que la force de l'indignation. Que faire et que dire, lorsque des compatriotes berbères se précipitent dans les bras du pouvoir pour le soutenir et le légitimer ? La colère intérieure est grande, lorsqu'en même temps, il faut s'imposer la rigoureuse règle de ne jamais rappeler à une communauté qui souffre les errements de certains. La faute commise par ces derniers est une faute qui est subie par tous les Algériens et ne peut être imputée à la Kabylie. Mais comme la tentation est grande pour les tenants d'une culture arabo-musulmane unifiée de rappeler cette triste vérité, je ne peux entièrement l'éloigner de ma pensée. Nos compatriotes berbères ont besoin que s'exprime envers eux un appel du cœur et des actes concrets. Je n'ai, pour ma part, à leur dire qu'une seule chose : « Je vous aime ». Car, à l'instar d'une mère, une nation ne peut laisser souffrir l'un de ses enfants sans lui rappeler sa profonde affection. Et jusqu'à preuve du contraire, cette nation, c'est nous. L'auteur est enseignant