La parole est libre, mais la plume est serve ». Expression juridique qui consiste à rappeler à tous les juristes que le meilleur mode de preuve est l'écrit. Car il reste. Des écritures retrouvées sur des pierres dans le Tassili aux œuvres littéraires qui se passaient en sous-main en des temps hostiles à la pensée libre, l'écriture et sa grande sœur la littérature ont tantôt eu le vent en poupe et tantôt décriées sur la place publique pour servir de matière première à un grand feu de joie. Baudelaire a été pourchassé et vivement critiqué pour Les Fleurs du Mal. Après quelques siècles, son recueil de poèmes est cité en référence et n'émeut plus les puritains qui détenaient le pouvoir. Rousseau avait trouvé l'ingénieuse idée de vivre à la frontière suisse. Quand ses écrits le portaient à mal, il se réfugiait dans sa maison du côté suisse, empêchant les autorités françaises de le saisir et le jeter dans les geôles. Malika Mokeddem et Boualem Sansal ont carrément été interdits de traduction en langue arabe à l'occasion de l'Année de la culture arabe en Algérie, arguant des arguments quelque peu fallacieux. Idem pour Yasmina Khadra. Son livre était jugé de proisraélien. Boudés pour on ne sait quel motif, la plupart de nos auteurs sont battus en brèche. « Nul n'est prophète dans son pays », argumente Anouar Benmalek. S'il fait l'unanimité que la liberté d'expression doit être balisée pour ne pas servir n'importe quelle cause, aussi ne doit-on pas pousser les frontières au point d'étouffer l'inspiration et scléroser la pensée. La seule barrière que l'on peut ériger à une œuvre consiste dans l'apologie qu'il peut faire de la violence et ses corollaires tels que l'incitation à la haine racial ou l'apologie du crime… Tout le reste devient donc littérature. Parole aux auteurs « Notre littérature n'est pas encore à la hauteur des expériences vécues par notre pays et n'est pas digne, entre autres, de sa richesse matérielle : nous avons du pétrole en quantité, certes, mais nous manquons, par exemple, de la masse critique d'écrivains qui créerait, en nombre et en qualité, une vraie littérature algérienne ! », exprime l'écrivain Anouar Benmalek. L'Année de la culture arabe en Algérie est une occasion inespérée pour l'auteur des Amants désunis. Il s'agit, en effet, d'un rendez-vous à l'échange. En cela, Anouar Benmalek rejoint l'avis : ce dernier explique que l'absence de traçabilité est l'un des principaux facteurs de la pauvreté du secteur littéraire. « Mais il faut surtout relever l'absence d'initiative privée dans le champ culturel du type mécénat ou fondation » (par exemple au Maroc, la Fondation ONA a été à l'origine de la création du Musée d'art contemporain, en même temps qu'elle participe à la restauration du site de Volubilis et contribue à la restauration de la cinémathèque de Tanger, etc.). Cette initiative privée a pu s'illustrer au travers de l'expérience des compagnies et coopératives théâtrales, mais elle reste tributaire de subventions qui sont aléatoires et de l'absence de structures de diffusion adéquates. Un autre phénomène est pointé du doigt par Hadj Miliani et retrace l'aspect qui tourne autour de la culture dite d'appartement. Ainsi, la consommation télévisuelle grâce à la parabole, les cd, les DVD, Internet ne sert pas la culture même s'il dénote d'une certaine ouverture. « Cette contradiction fonde une relation souvent virtuelle et quelque peu fétichisée aux expressions culturelles », argumente-t-il. Le soutien de l'état « Il faut être attentif aux recommandations des professionnels (du livre, de la musique, du cinéma, du théâtre, des arts plastiques), mais avoir de véritables managers de la culture qui sont en mesure de fédérer les énergies créatrices, d'innover dans la recherche de nouvelles stratégies de production et de consommation culturelles, de mobiliser les ressources humaines et matérielles nécessaires sans être à la merci du politique ou des logiques politiciennes », préconise Hadj Miliani. Mais l'auteur craint que l'année 2007 ne soit que le rendez-vous à la langue de bois ou au folklore. Pour Anouar Benmalek, il s'agit d'un secteur stratégique. Secteur également porteur de richesses que ne peuvent combler le pétrole, l'industrie ou l'armée. Pour l'auteur, l'appauvrissement de la littérature relève du fait que peu de maisons d'édition ne prennent pas le risque de promouvoir un jeune auteur inconnu au bataillon et que le lectorat ne représente qu'une frange mince de la société. « Il faut donc une politique très volontariste visant à la fois à créer des lecteurs par le biais de la création, par milliers (je souligne), des bibliothèques dans les moindres coins des villes et villages d'Algérie, rétablir par exemple les bibliothèques de classe, subventionner la publication de livres de création, la traduction vers et de l'arabe, etc. Ne parlez pas de libéralisme économique et de lois du marché dans ce secteur. Tous les grands pays subventionnent le secteur culturel et le livre en particulier », poursuit Anouar Benmalek. Hadj Miliani est professeur de littérature, faculté des lettres et des arts, université de Mostaganem. Il est également directeur de recherche associé au CRASC d'Oran, responsable du projet de recherche : Patrimoine immatériel en Algérie, commissaire du Festival national de la chanson raï d'Oran Anouar Benmalek est né à Casablanca en 1956. Professeur de mathématiques à l'université de Bab Ezzouar. Collabore à Algérie-Actualité. Secrétaire général du Comité algérien contre la torture. Maître de conférences en statistique à l'université de Rennes 2. Prix Rachid Mimouni pour Les Amants désunis (Calmann-Lévy, 1998), maître de conférences en statistiques à l'université de Rennes 2.