Les pratiques linguistiques déterminent une foule de phénomènes économiques, sociaux, politiques et culturels qui, à leur tour, agissent sur nos façons de communiquer et notre manière de nous exprimer. L'incapacité du système scolaire à produire une maîtrise correcte des langues est avérée. Elle touche autant l'arabe, tamazight que le français et les autres langues étrangères. Un simple regard sur les nouvelles enseignes de magasins, les notes et correspondances des administrations, les menus de restaurants ou même les panneaux d'indication, truffés de fautes et de constructions parfois aberrantes, peuvent aisément en attester. La médiocrité du niveau linguistique général qui était jusque-là confinée à l'école s'est désormais déversée dans l'ensemble de la société, dans les entreprises, les administrations, la vie quotidienne, etc. Mais l'école n'est pas seule en cause. Pendant des décennies, la télévision ou certaines disciplines artistiques ont produit des pratiques linguistiques en décalage complet avec la société. Les jeunes du film Omar Gatlato de Merzak Allouache criant « Aqtal el seltane ! » (tue le sultan) à une troupe de théâtre, s'exprimant en un arabe ampoulé, restent une illustration symbolique de la réaction à ces pratiques artificielles des langues. Les fossés entre langage officiel, politique ou médiatique, et langage populaire se sont creusés mais aussi entre générations. Les jeunes, à la faveur des SMS ou d'Internet, inventent de nouveaux parlers incompréhensibles à leurs propres parents et porteurs d'une avidité à s'exprimer. Des questions essentielles se posent à nous en la matière. Mais quand le débat a lieu, c'est souvent passionnément, sans rigueur ni sérénité, avec des préjugés de granit. Une des raisons en est que l'on ne consulte jamais les spécialistes. Et il en existe quand même, comme le linguiste Abdou Elimam (voir P. 21) qui s'évertue à publier en Algérie les résultats de ses recherches quand des éditeurs étrangers le sollicitent régulièrement. Reconnu mondialement, membre du comité scientifique international de Linguapax (La paix par les langues) dépendant de l'Unesco, il reste marginalisé ici. A quoi sert d'avoir de telles compétences si elles ne sont jamais consultées par les décideurs ? Elimam a jusqu'à présent résisté aux propositions qui lui viennent d'ailleurs. Mais jusqu'à quand ? Si l'on veut récupérer les cerveaux ayant déjà fui, il faut commencer par conserver ceux qui sont là. Nous avons demandé à Elimam de nous aider à mieux le comprendre, exercice auquel il s'est livré de bonne grâce, en acceptant de rédiger « un petit lexique pour entrer dans le monde des langues » (voir ci-après). Ce qu'il avance est novateur, radicalement différent de ce que nous croyons savoir. Il ne s'agit pas de lui donner raison ou tort mais bien de l'écouter et de le comprendre. Ces deux verbes ne sont-ils pas d'ailleurs le dessein de toute langue ? A&L