Ceux qui ne connaissent de la wilaya de Bouira que les quelques bribes d'informations offertes par la télévision, la radio ou la presse écrite à l'occasion d'événements historiques, culturels ou politiques, seraient agréablement surpris en visitant ce vaste territoire qui s'étend sur une superficie estimée à 4454 km2. La population qui avoisine les 700 000 habitants est trilingue, maîtrisant l'arabe, le français et tamazigh, langue qui est au cœur d'un combat farouche pour sa promotion en tant que langue officielle et nationale. Ce combat, au départ violent et émeutier ayant coïncidé en avril 2001 avec la célébration du Printemps berbère et s'est traduit par une forte effusion de sang donnant 125 martyrs et plus de 2000 blessés, ce combat a pris vers les dernières années un caractère plus pacifique débouchant sur des rounds de négociations mettant autour d'une même table les représentants du mouvement citoyen porteurs de revendications scellées en une plate-forme dite d'El Kseur, en 15 points et les chefs de gouvernement successifs. L'itinéraire touristique peut démarrer à partir de la ville de Bouira qui, en plus de son tissu urbain de style colonial ou mauresque, au cœur de l'ancienne ville, comme la mairie, certaines banques, l'Institut régional de musique, le fort turc, des sites enchanteurs comme Draâ El Bordj, Ras Bouira ou Errich. On parle de passages souterrains construits à l'époque ottomane et partant du centre-ville vers Oued El Bardi à une dizaine de km. En effectuant des travaux d'aménagement sur la place Rahim Galia, l'entreprise communale aurait mis en évidence un de ces tunnels. Le voyageur qui aura connu la ville vers les années 1974, année à laquelle elle a été promue au rang de chef-lieu de wilaya, sera surpris par les formes tentaculaires qu'elle a prises, notamment au nord et à l'ouest (Cadat, Ecotec, Sorecal) sans parler de nouvelles extensions qui comprennent une superficie évaluée à 55 ha qui constitueront la nouvelle ville aménagée le long de l'autoroute. Auzia, l'autre Atlantide Mais, si l'on est féru d'histoire et de civilisations disparues, alors on met franchement le cap sur la Ville des gazelles. La métaphore se justifie pleinement en ce sens que, selon des témoignages anciens, des gazelles, ces gracieux ruminants, venaient paître au pied des remparts de la vieille ville. Mais attention, cette ville ne fût pas peuplée que de gens qui passaient leur temps à rêver en admirant par dessus les hautes murailles, les gazelles qui passaient. L'épaisseur de ces ouvrages en pierres de taille et les meurtrières qui les parent, témoignent plutôt en faveur d'autres mœurs. La ville élevée vers 1862 par le duc d'Aumale à laquelle il donna longtemps son nom en faisant une ville-duchesse, fut le théâtre de violents combats. Les meurtrières, ces fentes assez grandes pour permettre de passer un fusil et de tenir en joue un cavalier lancé à toute vitesse à l'assaut des remparts, sont toujours là pour raconter l'histoire de ces époques troublées. On devine l'emplacement des postes des sentinelles et des rondes de nuit effectuées le long de ces murailles. Le harcèlement des troupes coloniales retranchées derrière elles par les cavaliers de l'émir Abdelkader rompus à cette technique de combat qui consiste à attaquer soudainement, puis à reculer de suite, devait avoir mis les nerfs de l'occupant à rude épreuve. Mais l'histoire de cette ville qui séduit par ses fortifications autant que par ses maisons de style strictement colonial, remonte plus haut encore dans le temps. L'antique Auzia réduite aujourd'hui en cendres ou en poussière (dégradations dues aux guerres successives pour sa pacification difficile ou au travail sournois du temps ?) dort sous l'actuelle ville qui, après l'indépendance, a repris son ancien nom (au fait, comment appelle-t-on un habitant de Sour El Ghozlane ? Avant on disait Auzalien). Un colon, du nom de Jean Perès, dont la maison construite en 1912 existe encore avec cette date au-dessus de la porte fermée à jamais, a laissé une historiographie de la région fort intéressante. Les inscriptions latines relevées sur les pierres découvertes et traduites par ce latiniste, retracent certaines victoires remportées sur la résistance incarnée par les autochtones. Certains sites y sont consignés. Jean Perès suppose qu'Auzia a une origine tyrienne avant de devenir romaine. Sur la base de documents qu'il cite à ce propos, il se lance sur la trace de cette colonie de Phéniciens ayant fui Tyr, menacée,et dont une partie s'était établie en Libye, alors que l'autre avait poussé jusqu'à cette ville qui ne s'appelait pas encore Auzia. Cela a retenu l'attention de l'historien romain, Pline, qui, selon Jean Pérès, lui a consacré un passage où elle est décrite comme étant une cité de 3500 habitants, juchée sur un éperon rocheux et entourée de forêts. Ce colon, qui a passé une partie de sa vie à s'intéresser à cette vie disparue comme l'Atlantide, engloutie sous les vagues successives du temps, évoque les généraux romains qui se sont battus, au cours des siècles, pour conserver à la ville son statut de municipalité romaine. Leurs victoires ou leurs défaites face à des hommes aussi résolus que l'héroïque, le vaillant Takfarinas qui, après avoir succombé au charme de la civilisation romaine au point de s'enrôler dans l'armée ennemie (à moins que ce ne fût pour parfaire sa formation de guerrier !) allait lui livrer une guerre sans merci, sont relatées par le menu sur des pierres ayant servi à élever des monuments pour en perpétuer le souvenir à travers le temps. Jean Pérès, dont les efforts infatigables ont permis de faire des découvertes étonnantes (statues, monnaies, pierres avec des inscriptions latines, tumulus très anciens...) qui fait de la ville coloniale une description minutieuse, situant l'emplacement de la caserne, des écuries, du magasin de munitions, de la mairie, de l'hôpital, de la sous- préfecture (oh, mais le croirait-on ? De Gaulle en 1958 ou 1959, au cours d'un séjour d'une nuit, avait déclaré Aumale chef-lieu de préfecture du Titteri avant que ce titre ne lui soit ravi par Médéa ), Jean Pérès pense qu'à la place des hautes murailles qui entourent Sour El Ghozlane s'élevait la forteresse d'Auzia. Aujourd'hui, la muraille circulaire avec ses bastions, ses quatre portes monumentales en arc de triomphe ouverte aux quatre coins en direction de Sétif (Est), de Bou Saâda (Sud), d'Alger (Nord) et de Médéa (Ouest), tombe en ruine. La ministre de la Culture qui a effectué un visite dans cette ville chargée d'histoire a réservé une importante enveloppe financière pour relever les parties écroulées de la muraille. De même qu'elle a alloué 1 milliard pour encourager la recherche sur ce site historique où l'on pense qu'est enterré le courageux guerrier Takfarinas, qui, par sa valeur indomptée, avait donné bien des soucis à l'armée romaine avant de venir expirer sous les remparts d'Auzia. Mais, alors, pourquoi sa tombe se trouvait-elle à El Hakimia, une localité à 10 km à l'Est de Sour El Ghozlane ? Mme Khalida Toumi a également attribué un montant d'un milliard pour relever les ruines de cet aqueduc romain dont le visiteur peut admirer l'arche magnifique miraculeusement debout au-dessus d'un petit oued. De retour en ville, le voyageur pourra, par le chemin de terre qui serpente le long de l'oued Lakhal se rendre à l'emplacement du théâtre romain. S'il a l'imagination fertile, il pourra se représenter les chariots romains tirés par deux chevaux empruntant cette voie qui a dû être pavée de pierres plates, dans le temps, pour se rendre à ce lieu de distraction, tandis que Takfarinas, debout sur une hauteur (le col de Dirah, à l'ouest ou celui de Becouche ?) mûrissant son plan d'attaque en observant la ville à ses pieds. Enfin, de retour en ville, le voyageur pourra se délasser de sa contemplation de tant de ruines romaines, en s'arrêtant, un moment, devant la mosquée El Atik, datant de l'époque ottomane, au cœur d'un litige avec des particuliers détenteurs de pièces leur reconnaissant le droit de propriété, avant d'en être déboutés.