Je n'ai aucune envie de m'exiler. Si je quitte Tunis, je me perds, je perds ma langue. Je crèverai d'ennui », confie-t-il dans Je ne partirai pas, essai publié récemment chez Chihab éditions à Alger. Pourtant, l'homme n'est pas aimé par le régime de Zine Abidine Ben Ali qui le pourchasse, comme il le fait pour tous les opposants depuis des années. Mais l'auteur d'Une si douce dictature (2000) s'attache à sa ville, comme un enfant à sa mère. Il dit être « analphabète » du reste du monde. « Si je suis ce que je suis, c'est que j'écris depuis Tunis (...) Tunis ressemble à ce creux d'oreiller qui m'a adopté. Je ne partirai pas », note-t-il. Il y a quatre ans,l'auteur écrivait dans le quotidien français de gauche L'Humanité que la capitale de la Tunisie était une cocotte-minute prête à péter. « Le vent peut tourner. Tunis pourrit et attend le dénouement dans le dénuement », écrivait-il. Le pays, sur lequel est assis le régime de Ben Ali depuis 20 ans, donne des signes de fatigue. Le journaliste parle du « Bienfaiteur », du « généralissime », de son « Excellence Ben Air » et de ZBA...Taoufik Ben Brik, qui a observé une grève de la faim de 42 jours en 2000, pense que Tunis joue les prolongations. En attente de quelque chose ? Les journalistes indépendants sont soumis à une étroite surveillance dans ce pays d'exotisme touristique où ils sont interdits d'exercice. Les familles des opposants sont harcelées et malmenées. Les publications étrangères qui critiquent le régime sont censurées, sans que cela soulève une vague de protestation en Europe où le pouvoir de Ben Ali possède plus de soutiens... Cette semaine, Abderraouf Ayadi, avocat opposant, a été, selon le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), agressé au sein du Palais de justice de Tunis par un agent de la police politique. La Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) ne peut, pratiquement, plus tenir ses réunions. Les Zoghlami, la famille de Ben Brik, sont presque tous forcés au chômage pour avoir refusé la soumission. « Allongée dans sa tombe de lumière, Tunis se fane. Elle a la beauté des jeunes veuves... Elle a connu l'argent, la force, l'esprit et la canaille. Mais la mauvaise affaire de sa très longue vie, elle l'a connue avec un homme trapu, aux cheveux gominés. Le gominé éclipsa tous les autres (...) ZBA a mutilé l'organe le plus précieux des Tunisois : la langue », écrit, presque avec dégoût, Taoufik Ben Brik, 47 ans. L'homme à la chevelure éclatante de noirceur envisage de succéder à lui même en 2009 au Palais de Carthage. Pris par une certaine lassitude mêlée de frustration, le journaliste a concédé récemment au journal français Libération qu'il allait voter pour... Ben Ali. « Je vote pour Ben Ali, parce qu'il gère le pays sans accroc. A coups de pied », avait-il écrit. « Dans le flou des brumes marines du matin tunisois, Taoufik Ben Brik invente l'optipessimisme, qu'il colle aux enfants de sa ville, se demandant souvent ce qui va y couler bientôt, le sang ou le béton ? », écrit, en préface, le journaliste caricaturiste Chawki Amari. Composé sous forme de petites chroniques, à l'allure parfois poétiques et quelque peu cyniques, Je ne partirai pas permet au journaliste de dire un mal, une douleur face à l'inertie ambiante, à l'abattement... Sauf que Taoufik Ben Brik, avec un style léger et délicieux, raconte le Tunis des bonnes senteurs, des soirées étoilées, des cafés chantants, des vendeurs d'ambre et des plats parfumés. Il évoque, avec plaisir, les mets célèbres tels que le lablabi, les kaftaji ou les hargma. Une chaude soirée, le journaliste se promène à Bab Mnara. Que voit-il ? « Un vendeur de jasmin fait la quête, un air de malouf aux lèvres. Caricatural. Je souris », raconte-il. Ce soir-là, il n'y avait pas de vent. Le jasmin ne s'envolera pas.