La police a refusé lundi soir l'entrée en Algérie au Tunisien Khemaes Chemmari, membre de l'Observatoire européen des droits de l'homme, sans aucun motif. Ce militant était venu, avec l'avocat Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, pour enquêter sur la situation des droits de l'homme en Algérie et discuter avec les représentants du gouvernement et de la société civile sur les réformes dans le monde arabe en préparation du sommet des Etats arabes, prévu les 22 et 23 mars à Alger. Une mission qui leur a été confiée par la Fédération internationale des droits de l'homme et l'Observatoire euroméditerranéen des droits de l'homme. Dès leur arrivée à l'aéroport Houari Boumediène d'Alger, en fin de journée de lundi, Mokhtar Trifi a procédé aux formalités de voyage sans aucun problème, mais Khemaes Chemmari a été sommé par la police des frontières de retourner dans son pays. Tous les contacts entrepris avec leurs amis algériens, notamment maître Boudjemaâ Ghechir, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH), et maître Farouk Ksentini, président de la Commission consultative nationale pour la promotion des droits de l'homme, n'ont abouti à aucun résultat. Les policiers étaient intransigeants et semblaient exécuter sans discuter des ordres qu'ils avaient reçus. Ce qui a poussé Mokhtar Trifi à ne pas quitter son compatriote par solidarité. Par solidarité, il a passé la nuit avec lui dans le poste de la police des frontières de l'aéroport avant de reprendre un vol pour Paris. En refusant de rentrer en Algérie, maître Trifi a voulu « dénoncer une mesure injuste et non justifiée ». Les deux militants sont repartis avec une grande frustration. Celle de n'avoir pu rendre visite à un pays qu'il croyait fermement démocratique et respectueux des droits de l'homme. Réagissant à cette mesure, la Ligue tunisienne des droits de l'homme a dénoncé cet acte qu'elle a qualifié d'« une atteinte flagrante au droit à la libre circulation » et aux activités des militants des droits de l'homme. « La décision des autorités algériennes relève de l'amalgame délibéré entre terrorisme et défense des droits humains », a affirmé la ligue dans un communiqué rendu public, tout en demandant aux gouvernements arabes « de cesser les entraves à la liberté et aux activités des militants des droits de l'homme ». En Algérie, la décision de refouler Chemmari a été « sévèrement dénoncée » par maître Boudjemaâ Ghechir qui a indiqué qu'il s'agit là d'un « acte inacceptable qui porte atteinte à l'image de l'Algérie et à son combat pour la démocratie et le respect des droits de l'homme ». Maître Ghechir a expliqué que les deux militants connaissaient assez bien l'Algérie, raison pour laquelle ils ont été choisis par la FIDH et l'Observatoire européen des droits de l'homme pour faire un rapport sur la situation des droits de l'homme en Algérie. « Ils avaient une idée positive sur ce qui se passe chez nous et Chemmari n'a jamais eu de problème avec les autorités algériennes. J'ai essayé de connaître les raisons de ce refoulement, en vain. Néanmoins, je crains que cette décision ne découle en fait de la rencontre à Tunis des polices arabes il y a quelques mois. Ces derniers avaient à l'époque sévèrement critiqué les organisations non gouvernementales (ONG) et les militants des droits de l'homme, tout en appelant à une stratégie de lutte. A la veille du sommet des chefs d'Etat arabes, j'ai peur que ce soit fait dans ce sens... » Pour sa part, maître Farouk Ksentini, président de la Commission des droits de l'homme, a exprimé son « étonnement » face à cette décision d'autant, a-t-il expliqué, que rien ne la justifie. « Khemaes est connu en Algérie et j'avais même prévu un rendez-vous avec lui dans le cadre de sa mission en Algérie. Il a réglé tous ses différends avec le régime de Zine Al Abidine Ben Ali. Donc même dans son propre pays, il n'a aucun problème. Je ne comprends pas une telle décision. Lorsqu'il m'a appelé en début de soirée, j'ai essayé de débloquer la situation, en vain. En tout état de cause, cette décision est à condamner et ne cadre pas avec cette image de marque que l'Algérie veut rétablir... » Pour avoir l'avis de la police des frontières, nous avons vainement tenté hier de prendre attache avec leur responsable. Il est important de signaler que c'est la première fois que la police refuse l'entrée en Algérie à un militant des droits de l'homme tunisien. Un précédent très grave qui prouve que les slogans des plus hautes autorités du pays relatifs à l'ouverture de l'Algérie aux ONG et aux militants des droits de l'homme ne sont en fait qu'un leurre.