Le sang coule à flots en Irak. Chaque jour. Les massacres se banalisent et le monde « civilisé » se tait. Hier, l'horreur a dépassé toutes les frontières. Quatre attentats à l'explosif à Baghdad ont tué, selon un bilan partiel, 172 personnes et ont fait plus de 200 blessés. C'est le jour le plus meurtrier depuis janvier 2006 dans un pays qui pulvérise tous les records de violence. C'est le même mode opératoire : des voitures piégées qui explosent dans des quartiers populaires. A Al Sadriya, à Baghdad, 120 personnes ont été tuées dans un marché. Selon des témoignages de journalistes irakiens, recueillis par la chaîne qatarie Al Jazeera, des femmes et des enfants constituent le plus gros des victimes. Des automobilistes ont été brûlés vifs dans leur voiture. « La rue s'est transformée en une piscine de sang », a déclaré à Reuters un commerçant. Le même quartier avait été frappé début février 2007 par un attentat à l'explosif qui a tué 135 personnes. Le contrôle qu'exercent les forces américaines sur les images ne permet plus de voir de plus près l'ampleur du massacre. Quatre autres attentats à l'explosif ont eu lieu notamment à Sadr City et à Karada, emportant plus de 50 personnes. Les quartiers visés par les tueurs de l'ombre sont à dominante chiite. Pour bon nombre d'observateurs, ces carnages vont alimenter les sentiments de vengeance et la haine confessionnelle. Le prétendu plan de sécurisation de Baghdad s'est effondré. Ce n'est pas l'avis du secrétaire d'Etat américain à la Défense, Robert Gates, qui, à partir d'Israël où il était en visite, a affirmé que l'application de ce plan se poursuivra. « Nous savions depuis le tout début que les rebelles et d'autres allaient augmenter la violence pour convaincre le peuple irakien que ce plan est voué à l'échec, mais nous avons l'intention de persister et de prouver que ce ne sera pas le cas », a déclaré cet ancien haut responsable de la CIA, cité par les agences de presse, qui évite soigneusement d'utiliser le terme « terroriste », habituel aux officiels américains. Mais Robert Gates a eu une curieuse phrase : « Ils (les rebelles et d'autres) tuent leurs propres compatriotes. » C'est certes une vérité – qui neutralise toute idée de résistance – mais cela donne l'impression que M. Gates découvre une situation qui dure depuis quatre ans ! Reprenant les propos du général Kacem Atta, en charge de la sécurité de Baghdad, le quotidien Iraq Al Ghad rapporte que « 5000 terroristes ont été arrêtés ces derniers jours ». Le même responsable a affirmé que le nombre de « cadavres non identifiés » a baissé de 75% en mars 2007. A ce jour, personne, en Irak, n'est capable de dire qui est derrière l'assassinat en masse de ces civils, des actes qui ressemblent à des exécutions sommaires. Depuis le 8 avril 2007, 460 personnes, entre insurgés et civils, ont été assassinées en Irak. Le nombre de soldats américains tués dans ce pays, d'après un décompte non officiel, a dépassé les 50, rien que pour ce mois d'avril. Selon des organisations antiguerre aux Etats-Unis, plus de 3310 soldats US ont trouvé la mort depuis l'invasion de l'Irak en mars 2003 (146 000 militaires américains sont stationnés dans le pays). On en parle moins : plus de 150 professionnels des médias irakiens ont perdu la vie dans ce pays. Dernière victime en date, la journaliste Iman Youssef Abdallah de Radio Bassora. Le chaos irakien a ouvert la voie à toutes formes d'actions de déstabilisation, puisque les attentats, bien coordonnés d'hier, jettent un immense doute sur la volonté des forces américaines et britanniques de rétablir la paix. La semaine écoulée, la destruction de deux importants ponts de Baghdad à l'explosif a suscité une polémique, vite étouffée, sur les véritables auteurs de ces actes qui visent, à première vue, à mettre à genoux la ville. L'opération reconstruction de l'Irak, promise par Washington et qui a déjà aspiré 10 milliards de dollars, n'a donné aucun résultat palpable. Cela n'empêche pas le vice-président américain Dick Cheney, l'un des architectes du plan d'attaque contre l'Irak, de dire que les Etats-Unis peuvent gagner. « Il est absolument essentiel que nous l'emportions », a-t-il confié. En homme d'affaires avisé (parfait connaisseur du secteur pétrolier), Dick Cheney n'a pas indiqué quel sera le prix de ce probable succès.