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« Un clin d'œil à l'Algérie profonde »
Cherif Rahmani (Ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement)
Publié dans El Watan le 21 - 04 - 2007

Elu Champion de la terre 2007 parmi d'autres personnalités illustres comme Al Gore, ancien vice-président des Etats-Unis d'Amérique et Son Altesse royale Hassan Ibn Talal de Jordanie, Cherif Rahmani, ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, également ambassadeur des Nations unies, porte-parole honoraire pour 2006, année internationale des déserts et de la désertification, et par ailleurs président de la fondation Déserts du monde, se fait le porte-parole de l'environnement, de l'écologie dans toute sa dimension culturelle et économique. Tout en rendant hommage au peuple algérien de ce prix, il dit que beaucoup de chemin reste à parcourir et c'est vers l'avenir que le ministre se tourne courageusement.
Que ressentez-vous à la veille de la remise du titre honorifique de Champion de la terre à Singapour ?
Pour moi, c'est une reconnaissance de l'action de l'Algérie. C'est toute l'Algérie dans sa démarche historique qui est récompensée. En effet, l'Algérie profonde a toujours entretenu des rapports de durabilité avec la nature et le milieu qui nous fournissent des ressources et des services vitaux en nous appelant à une consommation modérée de la ressource, parfois rare et souvent non renouvelable, donc épuisable. Il suffit pour cela d'observer la gestion économe de l'eau et des sols dans les contrées du Sud, la conservation des sols et l'édification des sites oasiens pour s'en convaincre. Cependant, malgré cet héritage en tant que patrimoine et pratiques, l'urbanisation rapide et galopante a créé une sorte de rupture dans cette trajectoire historique. L'essentiel, aujourd'hui pour nous, est de retrouver ce patrimoine et de nous réconcilier avec cet héritage pour le transmettre à nos enfants.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans votre action durant cette dernière année ?
Le problème de l'environnement ne se pose pas de la même manière chez nous qu'en Europe. Le problème de la conservation des sols et de la désertification est central. Le problème de l'eau est la clé de voûte de notre devenir. La stratégie à mettre en place doit être à cette échelle car les problèmes comme ceux de la désertification n'ont pas une dimension strictement nationale, ils sont souvent à l'échelle d'un continent. La remontée de la barrière steppique concerne tout le Maghreb. C'est dans cette dimension qu'il faut appréhender cette question, et c'est dans cette perspective qu'il faut nous inscrire. Il en est de même pour la ressource en eau au Sahara. En utilisant les technologies modernes de mobilisation de l'eau des profondeurs avec des foreuses performantes, on mobilise une ressource en eau extrêmement importante. Cette eau est utilisée de manière immodérée, elle est rejetée de manière dispendieuse et fatale pour des espèces végétales et pour l'homme et sa santé. Or, il faut des montants considérables aujourd'hui pour réparer ce que l'homme a de manière irresponsable détruit ou endommagé alors que notre savoir-faire traditionnel était construit sur la durabilité de la ressource. L'Institut des déserts du monde, édifié et créé dans cet esprit à Ghardaïa, permet de croiser l'ensemble des connaissances qui font le bonheur d'autres peuples avec notre savoir-faire ancestral tout en y association les technologies modernes. Il s'agit de fertiliser de manière croisée les technologies modernes et le savoir-faire traditionnel pour donner à l'environnement en Algérie une dimension écologique, culturelle et économique durable.
Cependant, le ministère est quelque peu lié puisqu'il doit travailler avec d'autres ministères tels que celui de l'Energie et des Mines ou celui des Ressources en eau. N'avez-vous pas été freiné ou n'avez-vous pas subi quelques difficultés pour établir des collaborations ?
De par ma posture professionnelle et du fait de ma charge, je suis dans mon rôle lorsqu'il s'agit d'aplanir les difficultés et de faciliter la collaboration avec les autres ministères ou avec les citoyens. Dans la vie, il n'y a pas de solutions simples, il y a des forces en marche, il faut les mobiliser, les accompagner. Le progrès est toujours dans la continuation de ce que les autres ont fait avant nous. En réalité, la plus grande difficulté de tout ministre, mais également celle de tout homme politique, c'est de bien dimensionner sa tâche et de ne pas céder aux mesurettes, au théâtre des apparences, à la politique spectacle et ainsi sacrifier par voie de conséquence le temps long. La pollution a un siècle d'âge en Algérie. L'attente du citoyen est pressante. Ce dernier veut parfois des résultats spectaculaires et immédiats, c'est légitime, alors que les résultats sont lents à venir et à se dessiner car il s'agit de réparer et de remédier aux dommages vieux de plusieurs dizaines d'années. L'essentiel est de ne pas lâcher prise, de ne pas céder à l'angoisse, au découragement et à l'aigreur mais d'avoir une volonté forte et à toute épreuve pour affronter les vents contraires. Malgré les moments de doute, il faut trouver un bon équilibre entre la réflexion et l'action. Aujourd'hui, l'heure est à l'action lucide pour que l'environnement prenne sa place dans le projet national et que la notion de développement durable passe du statut de variable hypothétique à celui de constante catégorique. En mon for intérieur, je sais que j'ai le soutien discret de ma famille et celui, chaleureux, des amis. Et puis, il y a cette reconnaissance sentimentale et ce prix onusien qui fait tant plaisir !
Alger est la capitale et donc la vitrine du pays. Cependant, elle reste sale. Est-ce de la responsabilité de ses seuls citadins ou peut-on penser que la politique reste à revoir ?
La responsabilité dans la prise en charge de la propreté à Alger reste toujours une responsabilité individuelle et collective, elle est partagée certes, mais reste différenciée. II y a les efforts louables de milliers d'éboueurs qui ne disposent pas toujours de moyens adéquats. Mais je veux aussi évoquer le témoignage de personnalités étrangères qui observent et déclarent qu'Alger est plus propre qu'il y a quinze ans : c'est un point de vue, certes, mais a le mérite de relativiser le jugement que nous portons sévèrement sur nous-mêmes. L'essentiel est de ne pas s'obstiner dans le refus du réel et d'occulter nos insuffisances, car nous sommes condamnés à faire mieux et chacun doit prendre sa part du fardeau pour qu'Alger soit plus propre.
L'oued El Harrach reste fortement pollué par les industries avoisinantes, sans qu'aucune sanction soit appliquée à leur égard. N'y a-t-il pas trop de scrupules à sanctionner ?
Avec la station d'épuration de Baraki, qui rentrera en production bientôt et les contrats négociés acceptés avec les entreprises industrielles situées en amont afin de réduire leur pollution, cela devrait aider l'oued El Harrach à mieux se porter, à mieux se reconstituer face aux mutilations de l'homme. Mais à côté de l'incitation quand l'adhésion volontaire atteint ses limites, il faut recourir à la sanction non à la répression, à la sanction juste. Si nous devons nous féliciter de l'effort de la police urbaine de l'environnement, qui fait déjà un très bon travail, ainsi que du travail des cellules vertes de la gendarmerie, au fond et sans vouloir habiller notre impuissance et notre hypocrisie, c'est tout un capital de valeurs perdues qu'il faut retrouver et reconstruire si nous voulons que la société change et refuser l'inclination bien algérienne au « populisme » et céder à la tentation de la tolérance face à l'inacceptable pour être « politiquement correct ». L'Algérie, voici moins d'un demi-siècle encore, comptait à peine une dizaine de millions d'habitants. Voici aujourd'hui sa population multipliée par un plus de trois : nous sommes encore en ce XXIe siècle, au siècle du développement. Mais le développement, désormais, ne saurait plus n'être qu'expansion démographique et que croissance économique. Cela a été longtemps le cas au siècle passé. Car, pendant quelques décennies, au XXe siècle, siècle encore présent en nous, le maître mot fut bien le développement. Mais au siècle aujourd'hui, il s'est enrichi de façon définitive d'un qualificatif pressant : ce qualificatif est le mot durable. Le développement, pour être mené à bien, doit dorénavant être durable. Ce qui n'était qu'enjeu est aujourd'hui atout ! II est en conséquence plus que temps que l'Algérie prenne toute sa place à la table de l'économie mondiale. L'horizon 2025, c'est l'échéance du schéma national d'aménagement du territoire. Nous avons pour y arriver une démarche à adopter, celle d'une fertilisation croisée réunissant tous les partenaires politiques, institutionnels, universitaires, scientifiques, associatifs, publics et privés autour du projet commun fort, ambitieux, à la mesure des défis à relever : la durabilité de nos ressources, de notre patrimoine, de notre culture pour que l'homme soit relié à un projet fédérateur. Certes, les situations ne sont jamais simples, sauf pour ceux qui n'ont jamais subi l'épreuve du feu. Mais ne sommes-nous pas aujourd'hui beaucoup plus nombreux qu'on ne le croit, rassemblés et mobilisés autour de la question de l'environnement. La majorité silencieuse et non indifférente se fait plus bruyante, plus pressante et moins muette : le choix est là : il faut aller plus loin, forcer les choses, inverser les tendances pour faire reculer le cynisme, la fatalité, vaincre l'ignorance et réduire les violences. Pour conclure et en indiquant que je ne veux pas, bien sûr, inverser les rôles, puisque c'est vous qui posez les questions, je vous demande de me permettre d'en poser une ! Ou plutôt plusieurs en une : où sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? La réponse à cette question à la fois multiple et unique se résume dans le seul nom de notre pays : l'Algérie. Nous venons d'une certaine Algérie et même d'une Algérie certaine ! Et, par nos efforts conjugués, nous allons vers une autre Algérie, celle de demain qui se prépare aujourd'hui, mais qui puise ses racines dans celle d'hier. Nous avons tant à apprendre de cette dernière ! Tant à apprendre de l'Algérie profonde. C'est elle en vérité, c'est l'Algérie profonde, que nous avons le plus à servir. Parce que c'est d'elle que nous avons le plus puisé, afin de nous forger et c'est d'elle aussi que nous avons le mieux appris afin de conformer notre conduite à l'intérêt du plus grand nombre.


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