Faut-il avoir peur de Google ? C'est la question que pose le documentaire diffusé sur Arte. Stéphane Osmont et Sylvain Bergère. Une interrogation qui en recoupe une autre : Google est-il, avec Apple et Microsoft, un maître du monde ? Un monde qui revêt désormais la configuration d'internet dans laquelle Google occupe à l'évidence un place dominante. Il est le moteur de recherche le plus utilisé et c'est un statut qui lui confère un pouvoir hégémonique par rapport à ses concurrents, notamment Yahoo, dont la réussite est réelle mais moins phénoménale que celle de Google. Comme l'aventure d'Apple et de Microsoft, celle de Google est typiquement américaine au sens où elle n'aurait pas été possible ailleurs dans les mêmes conditions et pour le même enjeu. Il n'y a qu'aux USA que des profils comme ceux de Steve Jobs et Bill Gates sont possibles. Comment expliquer, au-delà des référents économiques et quoi que l'on puisse penser des personnages, le succès de Microsoft et d'Apple autrement que par la pérennité dans la société américaine de l'esprit pionnier et défricheur ? Steve Jobs et Bill Gates, en révolutionnant l'informatique, ont amené des bouleversements considérables dans toutes les filières de la vie économique et reconfiguré la communication moderne. La galaxie Gutenberg s'est éteinte dès lors que les ateliers où se confectionnaient les journaux, ceux où se fabriquaient les livres ont été remplacés par la publication assistée par ordinateur. Cela paraît évident aux nouvelles générations, mais il convient de savoir qu'avant eux la presse était faite dans la pénibilité du plomb fondu et des incidences de santé mortifères pour les travailleurs des ateliers. Sans Steve Jobs et Bill Gates, le saut n'aurait pas été accompli. Plus encore, la révolution informatique initiée par Jobs et Gates a démocratisé l'ordinateur en le rendant accessible au plus grand nombre. Comment ne pas être frappé par le fait que ces deux créateurs, en se lançant dans l'aventure informatique, avaient à peine dépassé la vingtaine ? Leur exemple a pu donner à réfléchir à des centaines de jeunes qui, comme eux, ont vu que l'ordinateur personnel était devenu un symbole d'affirmation. C'est dans ce sens que sont arrivées des petites entreprises qui, comme Yahoo ou Google, sont les enfants de Microsoft et d'Apple. Google a connu le cheminement significatif qui l'a conduit à atteindre au gigantisme surdimensionné qui est le sien désormais en partant d'un simple désir de créativité. Le moteur de recherche Google a été créé en 1998 par Sergey Brin et Larry Page, deux étudiants de Stanford qui, à 24 ans seulement, avaient décidé de mettre un terme à leurs études. Ils n'imaginaient pas que leur réussite allait être aussi rapide et devenir un modèle planétaire. Brin et Page étaient entrés dans la sphère internet en défendant des principes éthiques et esthétiques fondés sur la conviction que Google devait apporter les réponses aux questions que se posaient les usagers du moteur sans céder leur indépendance aux annonceurs ou aux sponsors qui avaient accepté de les accompagner. Ce souci d'une éthique de leur service, Brin et Page l'ont illustré avec l'emblématique page de démarrage de Google. Le moteur de recherche a été dépassé par l'ampleur de sa réussite à telle enseigne que l'évolution de Google transgresse les principes humanistes qui animaient ses initiateurs, contraints de faire des concessions pour que Google soit présent dans des pays où la liberté préconisée par Brin et Page entre en conflit avec des systèmes de pensée verrouillés. C'est sur ce terrain que les analystes les plus critiques envers Google situent ses limites en faisant valoir que le moteur de recherche, s'il entre dans une logique de concession, s'expose du même coup à la sanction morale de ceux qui lui font confiance, car il y aurait des concessions qui pourraient s'apparenter à des collusions. La crainte, voire le pronostic affichés par les connaisseurs du phénomène Google est que Brin et Page versent dans l'auto-censure et que leur volonté de préserver la stabilité de leur entreprise ne les porte à faire mauvais usage des informations dont ils disposent sur les millions, voire les milliards de consultants qui ouvrent leur moteur. Il s'agit à l'évidence d'une hypothèse qui relève de la science-fiction et ce n'est pas surprenant tant Brin et Page, incarnation d'un génie qui les met au-dessus du commun, appartiennent déjà plus à la légende qu'au monde réel qu'ils ont transcendé en se hissant au sommet de l'Olympe du monde des affaires et des immenses fortunes. Ce qui avait été le cas, avant eux, pour Steve Jobs et Bill Gates.