Beaucoup avaient fini par baisser les bras devant la passivité, qui frise parfois l'assentiment, que le gouvernement italien affichait face à la campagne montante dans la péninsule et de plus en plus agressive contre l'Islam. Que des journaux italiens aient fait le choix discutable, car la véritable motivation de cette décision échappe à la majorité des musulmans, de publier les caricatures de la discorde à plusieurs reprises disculpe, a priori, le gouvernement d'un pays démocrate qui n'est pas censé intervenir dans la ligne éditoriale des quotidiens privés. Mais qu'un ministre de la République, responsable d'un parti allié de Forza Italia (celui de Silvio Berlusconi), s'amuse sur les plateaux des talk-shows à qualifier les musulmans de « fanatiques, ennemis de la liberté et de la civilisation occidentale » et qu'il exhibe tranquillement sur une chaîne publique un t-shirt imprimé d'une des caricatures danoises sans que le gouvernement bouge le petit doigt, le Rubicon a été franchi et plusieurs associations de musulmans vivant en Italie ont déclaré poursuivre le ministre Calderoli pour « outrage à l'Islam ». Les ambassadeurs des pays arabes, avec qui Berlusconi s'était entretenu, ont préféré suivre la ligne de la conciliation se contentant des déclarations du chef du gouvernement et de la diplomatie qui ont affirmé « leur respect pour les musulmans » et leur compréhension face à la protestation, pacifique, de ceux qui se sentent offensés par les caricatures publiées, à l'origine, par un journal danois. L'ambassadeur d'un pays arabe, en poste à Rome, nous a confié que les diplomates musulmans sont très irrités par « les sorties irresponsables et inacceptables » de certains hommes politiques italiens. Il faut dire que la surenchère de la Ligue du Nord, un parti connu pour ses attaques répétées contre l'Islam, et les déclarations provocantes et enflammées de ses leaders, auraient dû alarmer davantage les autorités italiennes. Malheureusement, il a fallu attendre les violentes manifestations de vendredi, dans la ville libyenne de Benghazi, et l'assaut donné contre le consulat italien pour que les Italiens se sentent véritablement menacés. En effet, dès qu'il a été informé de l'incident, qui a coûté la vie à onze victimes selon les autorités de Tripoli, le président du Conseil italien a interrompu un meeting électoral qu'il tenait dans la ville de Pérouse pour rentrer dans la capitale et convoquer une réunion extraordinaire avec les ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères. A l'issue de l'entretien, Berlusconi a déclaré à la presse que le ministre Calderoli « doit remettre sa démission », ajoutant que le leader de la Ligue du Nord, le populaire Umberto Bossi, était d'accord avec cette décision. L'opposition, guidée par l'ancien président de la Commission européenne Romano Prodi, n'a pas raté l'occasion pour qualifier elle aussi d'irresponsables les ministres qui ne cachent pas leur islamophobie, appelant à la démission de Calderoli. Pour sa part, le ministre des Affaires étrangères Gianfranco Fini, après avoir usé de mots très durs contre son collègue de la Ligue du Nord, Roberto Calderoli, est allé assister, hier, à la prière du vendredi à la mosquée de la rue Parioli, la plus grande d'Europe. Le geste de Fini n'avait rien à voir avec une soudaine poussée de foi islamique, mais se voulait une démarche d'apaisement en direction des musulmans d'Italie. Le chef de l'Etat italien, Carlo Azeglio Ciampi, a tenté lui aussi de rasséréner les uns et les autres et s'est dit « profondément endolori » par l'attaque du consulat de Benghazi et la mort de plusieurs manifestants. Le Président italien a rappelé que « le sentiment dominant chez les Italiens reste le respect des croyances des autres » et a appelé le gouvernement à adopter « un comportement responsable ». Cette levée de boucliers a finalement amené, hier, le ministre des Réformes, Roberto Calderoli, à annoncer sa démission du gouvernement italien après des protestations véhémentes du colonel Kadhafi.