De mémoire de Turinois, jamais le Salon international du livre n'a fait autant parler de lui, avant même son inauguration. Le choix des organisateurs italiens d'accueillir Israël comme invité d'honneur a été perçu comme une cynique provocation par une partie des affectionados de la plus grande manifestation littéraire de la péninsule. Rome. De notre correspondante A quatre mois de l'ouverture du Salon international du livre de Turin, le rendez-vous littéraire le plus attendu des amoureux des lettres italiens et étrangers, une grande polémique gronde dans le ciel de cet événement culturel qui voit chaque année des centaines de milliers de visiteurs, entre écrivains, éditeurs, journalistes, agents publicitaires et lecteurs, fouler les places de la capitale du Piémont. Car la décision des responsables de consacrer cette édition à la célébration d'Israël suscite un malaise parmi les intellectuels italiens pro-Palestiniens, mais aussi au sein de la majorité des écrivains arabes qui devaient prendre part à l'initiative. Quant à la classe politique issue de la gauche italienne, elle s'est déjà divisée en deux tranchées de frères ennemis. Ceux qui jurent que les responsables de la ville du Nord ont perdu la tête pour « faire fi de la violation quotidienne par l'armée et le gouvernement israéliens des droits des Palestiniens à Ghaza et ailleurs » et imposer le gouvernement de Tel-Aviv avec tout les honneurs aux participants et au public. Et ceux qui applaudissent ce choix et n'y voient « rien de scandaleux ». De plus, selon les représentants de la communauté palestinienne d'Italie, le fait que la date de la tenue du salon, prévu pour le mois de mai prochain, coïncide avec la célébration en Israël du 60e anniversaire de la fondation de l'Etat hébreux est source « de grave offense aux souffrances des Palestiniens qu'ils soient dans les territoires occupés ou en exil ». Et alors que la section du parti de la Refondation communiste du Piémont a appelé au boycott de l'initiative, un groupe d'intellectuels italiens, en majorité d'origine juive, auxquels s'est joint le sociologue et parlementaire italien d'origine marocaine, mais qui exhibe une nationalité algérienne et se présente comme tel, Khaled Fouad Allam, a pris une initiative contraire. Dans un appel rédigé par ces intellectuels qui défendent le choix d'Israël comme invité d'honneur du salon, les signataires attaquent avec virulence ceux qui sont d'un avis différent, qualifiant la protestation des amis de la Palestine de « campagne ignoble, fondée sur la supercherie, les préjugés et l'ingratitude ». Pour leur part, les Israéliens hissent la barre plus haut et vont jusqu'à exiger que l'hypothétique participation d'auteurs palestiniens au salon (envisagée par les organisateurs pour apaiser la polémique) ne soit pas assimilée « à une double présence, comme si deux nations étaient invitées ». Inutile de parier qu'ils auront gain de cause, puisque les organisateurs du salon de Turin ont coordonné tous les aspects de la participation israélienne avec l'ambassadeur de l'Etat hébreu à Rome. Pour leur part, les représentants les plus extrémistes de la communauté juive d'Italie sont montés sur le train de la polémique et n'ont pas laissé passer l'occasion pour crier à « l'antisémitisme des intellectuels italiens issus d'une certaine gauche » et ont dénoncé ce qui, selon eux, n'est autre que « la négation du droit d'exister à Israël ». La prise de position du président de la chambre des députés, le communiste Fausto Bertinotti, qui s'en est pris à ses camarades de Turin qui ont critiqué l'initiative, a été bien accueillie par le parti de droite post-fasciste, Alliance nationale, dont les dirigeants ont appelé à contester « la culture qui nie le droit de parler au pape et qui brûle les drapeaux américain et israélien ». En attendant, la communauté palestinienne vivant en Italie et plusieurs associations de solidarité avec le peuple palestinien ont promis de tenir des manifestations de protestation aux abords du Lingotto de Turin où se tiendra le Salon international du livre et ailleurs dans les villes italiennes pour dénoncer « l'aveuglement des organisateurs italiens qui honorent l'occupant et nient le droit de parole aux occupés ».