Dur, dur d'être jeûneur au pays de la pizza et des pâtes. On a beau dire que la foi aide à tout supporter, mais voyager le matin, encore endormi par manque de caféine dans le cerveau, en métro, avec des Romains et des touristes qui grignotent à tout bout de tunnel, y a de quoi devenir hargneux. C'est pas qu'ils le font exprès, mais il vous semble, tout de même, que jamais autant de personnes n'ont affiché si indécemment leur gourmandise en public. Allez leur dire que quelques milliers de leurs semblables, sans être de scrupuleux pratiquants des cinq piliers de l'Islam, tiennent à ne rien ingurgiter de l'aube jusqu'au coucher du soleil, un mois l'an. L'Islam, bien que deuxième religion d'Italie en termes démographiques, n'est pas encore reconnu par l'Etat italien. Durant le mois sacré de Ramadhan, les jeûneurs doivent s'évertuer, avec mille acrobaties, à marier vie quotidienne et esprit ramadhanesque. Seules les ambassades arabes modifient leurs horaires durant ce mois pour permettre à leur personnel de pouvoir prendre le repas du f'tour en famille. Ceux qui travaillent dans les entreprises italiennes se contentent de rompre le jeûne avec un cappuccino et un gâteau, lorsque el iftar les surprend sur le chemin du retour chez eux. Car c'est vers 18h30 (17h30, heure algérienne) que la mosquée de Rome appelle (avec un haut-parleur réglé pour émettre juste dans l'enceinte du lieu de culte) à la prière du maghreb. Les 700 000 musulmans d'Italie sont nettement défavorisés par rapport à leurs autres coreligionnaires qui vivent en Europe. Et si face à la campagne de propagande hostile aux musulmans que mène tambour battant une partie de la droite italienne les musulmans se font discrets durant le reste de l'année, à l'arrivée de Ramadhan, leur nostalgie pour leur culture d'origine n'en est que plus exacerbée. Pourtant, la majorité des immigrés d'origine musulmane est laïque et la plupart tiennent exclusivement à la seule pratique du jeûne. Qu'ils soient originaires d'Asie ou d'Afrique, ils témoignent un grand attachement au rite de Ramadhan. Avant le jeûne, les Arabes du Moyen-Orient juraient qu'il fallait cesser de consommer de l'alcool deux mois avant, alors que les Maghrébins certifiaient que quarante jours de cure d'abstinence étaient suffisants. Durant ce mois spécial, une ambiance de détente et de sympathie unit les musulmans à Rome, à Naples, à Turin et à Milan. Les religieux acceptent de jouer le jeu comme les responsables de la mosquée de Rome, qui envoient volontiers, par télécopieur, les horaires de Ramadhan, même aux musulmans qu'ils ne voient jamais franchir la salle des prières et qu'ils croisent tout au plus dans le petit marché qui s'étale chaque vendredi aux alentours du Centre culturel islamique. On y trouve la harissa, le pain arabe, des livrets du Coran et quelques produits d'artisanat syriens et marocains. Les musulmans d'Italie se caractérisent par la discrétion et la tolérance. La première est due à l'ostracisme des autorités italiennes qui ne leur reconnaissent pas encore un statut légal et la seconde est une philosophie adoptée pour pouvoir fréquenter les uns et les autres. La communauté musulmane étant modeste et pas assez politisée pour devenir un enjeu politique, les liens sont souvent le fruit d'une curiosité culturelle et d'attachement à la culture arabe. Et durant le Ramadhan, les visites et les invitations sont échangées avec spontanéité et générosité. Et même si cela veut dire, pour un Algérien, rompre une journée de jeûne avec la lourde mouloukhia égyptienne ou les indigestes falafels syriens, il vaut mieux « souffrir » parmi ses amis que savourer la plus appétissante chorba au frik, entre quatre murs. Tant pis pour la zlabia et le kalb ellouz. El kounafa et el ktayef (non pas les nôtres) feraient bien l'indigestion oh pardon ! l'affaire. En attendant l'Aïd, les xénophobes de la Ligue du Nord mènent la vie dure aux musulmans du Nord. Comme cet adjoint au maire de la ville de Trévise, Carlo Gentilini, qui avait déjà défrayé la chronique en proposant, il y a deux ans, de vêtir les immigrés de peau de lièvre et de leur tirer dessus et qui, cette fois, a rejeté deux projets de construction de mosquées. « Je respecte le désir de mes concitoyens. Ici, il n'y aura pas de mosquée. Double tolérance zéro envers les musulmans », a déclaré Gentilini, sans embarras aucun. La communauté musulmane de Trévise n'a pas répondu à la provocation. Tout au plus, l'un de ses membres a dû se résigner à l'imprécation : « Allahouma ini saïm. »