Chut, écoutez » : le maestro, les yeux fermés, tout souriant, rêveur, accompagnait du geste les mouvements bleus, les premiers motifs, des sons d'une pureté à vous faire oublier la lourdeur du vent de sable qui enveloppait l'oasis. C'est à Laghouat que le violoniste Mokhtari, sur invitation de la section syndicale des artistes, a préféré se retirer pour entreprendre la concrétisation d'un important programme et sortir de l'isolement dans lequel on cherche à le maintenir. Ce pèlerinage à Laghouat n'est pas fortuit ! Contrairement aux idées reçues, l'andalou y a élu domicile avec une liberté de faire que l'on ne retrouve nulle part ailleurs. L'évolution des waslate ou sallasil andalouses partent du gharnati marocain pour se développer en mouvement chami ou malouf et finir avec une rythmique empruntée aux transes de la hadra des genres soufis locaux, le tout sous l'autorité reconnue au f'hal, le luth. C'est là, tout l'enseignement légué par le maître du genre, Ray Malek, et c'est pour s'en imprégner que Mokhtari a accepté l'invitation de la section syndicale des artistes de Laghouat. « Ressusciter Rey Malek n'est pas une mince affaire, et c'est un défi de l'entreprendre », nous confie-t-il tout content des découvertes faites. « Mon rapport avec Laghouat, c'est Rey Malek que j'ai connu comme luthier au Maroc en 1957, alors qu'il était en train de former El Andalousia, nous étions tous deux recherchés. » Evoquant Hadj M'hamed El Anka, El Baydhaoui, Hassen Slaoui, Fouiteh Salim El Hillali et Doukali qui tint à se faire accompagner par un orchestre algérien lors de son passage en Mondovision, Mokhtari souligna que « la fraternité maghrébine est liée à la culture plus particulièrement au patrimoine artistique ». Mokhtari que Farid El Atrache considérait comme l'un des meilleurs violonistes arabes et auquel il proposa de rejoindre son orchestre, rappelle à notre intention le jour où Hassan II, avant, son intronisation, prit place à ses côtés pour lui demander de jouer Chi Taksim Bayati pour nous dire qu'il vient d'écrire au roi Mohammed VI. « J'aurais dû rester au Maroc, il n'y a pas d'artistes mendiants au Maroc », dit-il avec regret et amertume, outré qu'il est par la suite réservé par l'ENTV à son dernier travail non encore diffusé. « Après une longue attente, on a consenti à me recevoir chez moi (à l'ENTV) pour m'entendre dire par H. Derradji et d'autres que le programme est refusé, qu'ils ne veulent pas le passer parce que non esthétique... » « Pis, la bobine que j'ai confiée à la directrice de production Mme Leïla a été perdue et l'on me demande de reprendre le travail comme s'il s'agissait de couscous. » « Tel quel, le programme ne passera pas. Vous avez été payé et cela ne vous regarde en rien qu'il passe ou pas, c'est notre bien », lui aurait-on signifié. « La bobine c'est votre bien, mais le fait culture c'est le bien du peuple, je suis le bien, le serviteur du peuple, je m'en fout de l'argent. Si mon travail déplaît au public, je mettrai publiquement mon violon en miettes », lance-t-il coléreux, et défiant ceux qui règnent à l'ENTV. Oubliant sa peine tenace, il nous fit part du travail qu'il vient d'effectuer au cours de son séjour. Humblement, le violoniste a dirigé une formation locale El Mizharia (renforcée) et participé aux arrangements de cinq chansons du patrimoine local interprétées par un Taouti qui fera parler de lui. Offusqué qu'à l'occasion d'« Alger, capitale de la culture arabe », on a laissé tomber les musiciens algériens, Mokhtari ne trouve pas les mots pour parler des retrouvailles avec l'ami et l'artiste méconnu qu'est Mabrouk AzzouziI. « Délaissé, ignoré, ce virtuose du luth, maître au violon, chercheur, compositeur à l'origine d'une œuvre monumentale, celui qui a eu à diriger l'orchestre symphonique, qui jouit d'une notoriété chez nos frères de l'Orient, reste méconnu dans son propre pays. Noyé dans sa modestie de toujours, il est dans la graisse, c'est sous son camion que je l'ai trouvé. Pourquoi l'Algérie ne l'a jamais connu ? », s'interroge Mokhtari, avant d'ajouter que l'une des ses œuvres Ma natsaourch nalgak enregistrée avec le chanteur Dr Helli, voilà bientôt 20 ans, n'a jamais été diffusée, dit-il. Au terme de son séjour, Mokhtari, qui dit être surpris par ce qu'il a pu entendre, ne pouvait passer sans se produire. Au cours d'une soirée improvisée, il gratifia les mélomanes locaux d'un récital en hommage à ceux sur les traces desquels il est venu. Au passage, il ne pouvait s'interdire le clin d'œil à l'endroit du doigté velouté, une découverte, et faire la promesse de revenir à Laghouat. A la clé, probablement, un duo avec Jamel Lamri au luth. Toute une promesse…