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Vocation. la recherche de la vérité est l'enseigne de leur métier
Trois journalistes dans le désert
Publié dans El Watan le 13 - 01 - 2005

On dit des journalistes qu'ils ont un devoir de vérité. C'est cela, paraît-il, qui les distingue des romanciers libérés de tout contrat vis-à-vis d'un lecteur qui ne demande qu'à être transporté dans l'univers de la fiction. L'essentiel étant de plaire, le succès attend celui qui saura imaginer les plus belles histoires. Et s'il arrive que celles-ci se piquent de réalisme, pourquoi bouderions-nous notre plaisir ?
J'ai trois belles histoires à vous raconter, et si ce sont trois histoires de journalistes, ne croyez pas que j'aime la vérité plus que de raison. Non ! seul le hasard m'a mise sur une piste de lecture qui était celle du désert et de ses aventures hasardeuses. Sur mon chemin, j'ai rencontré trois journalistes qui n'étaient pas là par hasard. Tous trois se trouvaient là en mission, dûment mandatés pour construire un papier de dune et de sable. C'était à peine croyable ! Trois professionnels de l'information dans une région où il ne se passe jamais rien ou presque, où il n'y a rien d'autre à couvrir que soi-même, ses yeux et sa tête contre le soleil et le vent. Trois journalistes qui n'étaient même pas des étrangers en villégiature dans le Grand Sud, en quête de photos-souvenirs. Que diable ces grands reporters algériens étaient-ils allés faire dans un paysage où la dune et le sable se moquent de l'actualité et de son encre vive, ne se satisfaisant que de la dessiccation ? Il s'appelle Mourad et il en a assez de vivre dans la médiocrité ambiante. Rien à se mettre sous la dent dans l'actualité du jour. Ni guerre ni cataclysme. La routine plate à désespérer de voir un chien se faire écraser. Alors Mourad propose un article de fond comme on dit, un de ces papiers qui donnent à réfléchir, l'histoire d'un peuple qui cherche sa route, accroché aux pas de ses guides, des héros qui finissent par l'abandonner à des idéologues spécialistes des fables et autres récits à dormir debout. Ça s'appelle « La traversée du désert » et ça ne plaît à personne, ni aux secrétaires friandes d'histoires vraiment vraies, ni aux confrères de Mourad, ni à son patron qui l'envoie en mission dans le Sahara, histoire de le mettre au vert, de lui faire retrouver la verdeur de ses idées. Le mois se passe et Mourad ne revient pas. Il a pris la direction de son village natal pour y mourir dans la fièvre et le délire, dans les bras de sa mère, au cœur de Tassast, la gardienne des rêves et de l'enfance que Mouloud Mammeri a passé son temps à faire regretter à Mokrane et à Menach, à tous les jeunes qui avaient peuplé sa Colline oubliée. Dans l'univers de Mammeri, il appartiendra au seul journaliste de mourir heureux après avoir traversé son désert non pas de dune et de sable, mais celui de la bourgeoisie ripolinée dans un paradis où la blondeur est l'apanage des poupées eau oxygénée. Un journaliste anonyme trimballe sa solitude dans le Paris de l'exil. Il s'embarque dans l'histoire des Almoravides commandée par une maison d'édition, et le voilà dans la peau d'un journaliste sans frontières, naviguant à travers les déserts du monde, depuis le Grand Sud saharien jusque dans la profonde Arabie. L'étonnant est de le voir cheminer, lui le journaliste moderne, en la compagnie fâcheuse du sévère Ibn Toumert, armé d'un gourdin d'olivier, sec et noueux comme la trique d'un redresseur de torts. L'ancêtre grincheux, censeur et policier obsède le journaliste tant et si bien que l'on ne comprend pas bien pourquoi Tahar Djaout a imaginé ce couple détonant dans L'Invention du désert. Et puis, on se met à penser que peut-être les deux hommes partagent une expérience douloureuse de l'échec, une traversée des déserts pour deux Don Quichotte sans autre Dulcinée que l'utopie de la pureté qui leur fait les yeux doux. En vain, ils resteront tous les deux en rade d'une histoire qui se fait toujours sans les rêveurs doux ou sévères. Mon troisième journaliste est écrivain et vrai journaliste. Il s'appelle Mustapha Benfodil et n'a pas voulu laisser passer la guerre du Golfe sans y être. Il s'est embarqué un 1er avril (sans rire) pour cet Orient arabe qui se défait de ses oripeaux mythiques dès que l'on montre une carte de presse. Parti à Baghdad, au cœur de l'événement qui faisait la une des journaux et des JT, Mustapha Benfodil s'est sauvé autant qu'il a pu de l'hôtel Palestine dans lequel étaient parqués les journalistes du monde entier, sans pouvoir couvrir la principale actualité de l'année 2004. La guerre d'Irak montrait bien ce que les guerres d'aujourd'hui sont devenues : des guerres de propagande et de psychologie. Ruinée par les bombardements, l'Irak millénaire n'a jamais été qu'un désert d'information, reléguant le reporter dans la pire des situations, celle de la soif et de la faim. Rien à se mettre sous la dent. Rien que la découverte d'un peuple merveilleux et livré aux charognards. Oui ! c'était cela qui valait le coup de partir, quitte à revenir bredouille sans avoir pu couvrir l'événement de l'année. Le peuple irakien avait les yeux de Chimène et comme elle, il était intransigeant quand on lui parlait d'honneur. Etre le Cid, une seule fois, quitte à en mourir, mais ne pas perdre de vue Chimène. Quelle belle utopie ! Comme les deux premières, elle a coûté à Mustapha Benfodil une traversée du désert, la percée de la coquille vide de la mythique union arabiste.

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