Un phénomène prend de l'ampleur sans que les autorités se décident à réagir : du tabac à chiquer et à priser, de qualité souvent douteuse, est écoulé sur le marché. Il n'est nul besoin pour les nicotomanes de s'en allumer une pour s'adonner au plaisir de Nicot. Le tabac à chiquer, qui fait main, reste pour eux le succédané idéal. Zoom sur un trafic pas du tout chic. « Déjà que le produit contrôlé est dangereux pour la santé du consommateur, que dire alors si d'autres ingrédients viennent s'ajouter à ce produit ? Le danger est alors plus grand », soutient un buraliste. Pour lui, les matières qui entrent dans la composition de ces tabacs ne manqueraient pas de laisser pantois plus d'un : des pesticides, des cendres, du plâtre, du sable, et, pour couronner le tout, de la bouse utilisée pour que la « Makla El Hilal » soit de la même couleur que celle fabriquée dans les unités de l'entreprise publique, la Société nationale des tabacs et allumettes (SNTA). La marchandise que l'on trouve partout est cédée cinq fois moins que le prix appliqué par la régie nationale alors qu'elle est produite sous son label. « Le citoyen n'est guère regardant sur ces aspects et préfère, compte tenu du prix, acheter le produit contrefait bien qu'il y aille de sa santé », soutient notre interlocuteur qui cite 24 maladies dues « à la consommation effrénée » de ces produits qui font « un tabac ». Du tabac contrefait dont l'origine est douteuse est écoulé sur le marché parallèle. Réghaïa et Baba Hassen sont devenues de véritables plaques tournantes où s'approvisionnent des revendeurs sans que des policiers, en faction, réagissent. Pourtant, des affaires défraient, par moments, la chronique. Des éléments de la gendarmerie font des saisies périodiques. Ceux de la wilaya de Sétif ont mis la main sur un groupe spécialisé dans le trafic de tabac à chiquer. 16 t de faux tabacs et 1200 kg de feuilles de pétune ont pu être ainsi récupérés. Seuls quelques buralistes sont montés au créneau pour dénoncer cette « menace » pour leur gagne-pain. « Les premiers à faire les frais de cette concurrence, c'est nous », s'emportent des buralistes qui vendent cinq fois plus cher un produit « pourtant meilleur ». « Les petits revendeurs nous font une concurrence déloyale avec une marchandise illicite. Cette situation devient gênante », soutient un groupe de buralistes de Blida, dans une lettre ouverte publiée par El Watan le 2 mai dans sa rubrique hebdomadaire, « Courrier des lecteurs ». « Nous, les buralistes qui payons des taxes, sommes astreints à ne vendre que les produits SNTA. Dans le cas contraire, il y a des mesures répressives à notre encontre », assure l'un d'eux. Du côté de la SNTA, où l'on campe dans une posture à tout le moins encombrante, on préfère éviter de parler de « catastrophe ». Le produit est-il fait localement ou bien importé de l'étranger ? « La mise en boîte de ces tabacs n'est guère une opération rudimentaire, mais nécessite des méthodes autrement plus sophistiquées que seule la SNTA possède », indique un membre du directoire de la SNTA (El Watan du 22 septembre 2004). Cette industrie parallèle disposerait, à en croire des sources, de « lignes de fabrication ». « Ces réseaux, tout puissants, ne peuvent être confondus si l'on juge par les complicités existantes. De gros bonnets ont toujours pignon sur rue », avance-t-on. Des mauvaises langues ne se gênent pas pour rappeler que des connivences existeraient à l'intérieur des unités de la SNTA. Qu'en est-il réellement ? Les « complices » ont-ils été confondus et différés devant la justice ? Minimisant ce phénomène, le directeur commercial, M. Boulehdjilet, auquel on a posé la question, préfère rappeler qu'on ne peut contrôler tout le monde. « A la SNTA, des mesures sont prises mais elles restent insuffisantes. Des employés s'approvisionnent, et personne ne peut les en empêcher », soutient une source à la régie nationale. Et de rappeler le modus operandi de ces travailleurs indélicats. « Une fois détourné des entrepôts de la SNTA, le tabac à chiquer, destiné à la destruction, est écoulé sur le marché parallèle », révèle-t-on encore. Des mesures sont prises par la société mais restent, selon d'anciens employés compressés, sans résultat. Des quantités de tabac à chiquer sont produites par la SNTA mais ne sauraient satisfaire le marché national. « La matière reste totalement importée », soutiennent des syndicalistes de cette entreprise qui parlent d'une régression de la production nationale au profit de la chique contrefaite. « Les marques phares de la régie nationale, SNTA, sont imitées mais il est facile de reconnaître le vrai du faux », relèvent-ils. L'ouverture du marché « décriée » L'ouverture du marché, décidée à la faveur de la promulgation du décret exécutif n° 04-331 du 18 octobre 2004, fera diminuer, selon ses promoteurs, le trafic illégal du tabac. « Des appétits sont aguichés après la promulgation de ce décret », rétorque-t-on.Le marché national est demandeur de ce genre de produit et la SNTA n'en satisfait qu'une partie. L'autre partie est occupée par les trafiquants qui talonnent de près la régie nationale. La part de marché occupée par les produits contrefaits n'est guère négligeable. Dans El Watan du 22 septembre 2004, un responsable à la SNTA affirme que les produits contrefaits occupent moins 10 % de part du marché « avec une production de 80 à 100 millions de paquets pour les seules cigarettes ». Le marché du tabac est un pourvoyeur de fiscalité important. La SNTA engrange plusieurs « milliards » et en fait bénéficier plusieurs autres au Trésor public. Comment procède la SNTA pour endiguer ce phénomène, qui touche son portefeuille et, par-là même, le Trésor public. Qu'elles en sont les conséquences : Y a-t-il une décrue ou, au contraire, un développement est-il perceptible ? « Aucunement », soutient une source à la SNTA. « A voir la profusion de produits dont la destination n'est guère connue de tous, il est permis de le penser », relève-t-elle. Guère loquace, le directeur commercial assure que des plaintes sont déposées contre X devant les juridictions compétentes. Quels en sont les résultats ? Motus et bouche cousue de la part du directeur qui se contentera de dire que les Directions de la qualité de wilaya (DCP) « sont informées », et qu'elles sont les seules à pouvoir éclairer notre lanterne. Le directeur commercial d'Alger, duquel on s'est rapprochés, n'était pas, lui aussi, disert. « Ce phénomène est délicat », fait-il remarquer en indiquant que 95 % du tabac à chiquer écoulé sur le marché sont récupérés à la décharge de Oued Smar. « Dix contrevenants ont été arrêtés », conclut-il.