Un road-movie traversant l'Amérique d'est en ouest et retour pour le plaisir de reprendre un autre morceau d'une tarte aux myrtilles et peut-être de flamber d'amour ; (toute l'œuvre est un tableau de maître, une immersion grandiose dans les paysages américains). On a vu un film russe Le Bannissement (Izgnarie) d'Andrei Zvyagintsev, d'un échelon (artistique) encore plus haut. Et déjà, à peine au début du Festival, on commence à se demander qui raflera la mise ? Tant ces deux premières œuvres projetées paraissent très séduisantes, déjà… A un échelon moindre, deux autres films sont dans la compétition : Zodiac de l'Américain David Encher, c'est l'histoire d'un tueur fantôme en Californie dans les années 1970, un genre policier sans grande originalité et le film roumain de Cristian Mungiu qui tape fort contre l'ex-régime communiste à travers une histoire d'avortement clandestin. Un film glauque pour tout dire. Rien de comparable avec les espaces grandioses, les couleurs, la musique pop qui rendent l'œuvre de Wong Kar-waï peu banale, profondément mélancolique et brillamment visuelle. L'atmosphère, les sentiments, l'impressionnante prouesse photographique (et du montage aussi) sont là comme dans In the mood for love. Un très bel épisode du film se passe dans un casino du Nevada où l'on tombe sur une joueuse qui flambe ses millions avec une facilité mémorable. Cette femme qui roule en Jaguar est jouée par Nathalie Portman, un caractère toujours extrême, sans état d'âme. Avec cette œuvre très réussie qui est plus art-essai que commerciale, a désespéré les marchands de soupe à Cannes. Wong Kar-wai atteint vraiment le sommet de son art. Au même niveau, on retrouve aussi le Russe Andrei Zvyagintserv, l'auteur du déjà remarquable Le Retour, Lion d'or à la Mostra de Venise en 2004. Son nouveau film tourné en Moldavie lie la grandeur des paysages à la souffrance des personnages. C'est un film très subtil et très troublant à la fois, d'une beauté remarquable et absolue. Un homme et sa femme (deux immenses acteurs : le Russe Konstantin Lavronenko et la Suédo-Norvégienne Maria Bonnevia) emmènent leurs deux enfants à la campagne dans la vieille maison du père du mari. Nature envoûtante tout autour, immense beauté des terres sans horizons. Tout le début du film est un plaisir visuel époustouflant. La virtuosité de la mise en scène, (voyage dans le train, installation dans la maison de campagne, premiers jeux des enfants), nous cache à l'évidence le drame qui va suivre. La femme qui paraissait hypersoucieuse dans le train, va faire craquer cette illusion de bonheur et d'amour. Elle raconte une fausse histoire à son mari. Elle lui annonce qu'elle est enceinte d'un autre. Dès lors, ce ne sera plus une partie à la campagne anodine. Le film d'Andrei Zvyaginter échappe à tous les genres, c'est un film sur la rupture, le dérèglement des sentiments. C'est aussi l'occasion d'admirer le travail des acteurs à l'état pur, impressionnant. Le show cannois est bien parti. Le cinéma d'art reste vigilant face au cinéma-spectacle.