“Le sel de la mer”. Avec cette expression arabe, traduite littéralement, Anne-Marie Jacir, signe un premier film neuf et poignant sur la Palestine. Un road movie attachant qui donne à voir combien est insupportable le “système” d'occupation au quotidien : humiliations, spoliations, chômage forcé, entraves réelles mais aussi symboliques : combien de Palestiniens ont vu pour la dernière fois la mer, ce jour maudit de 1948, jour de Naqba ? Cette absence cruelle traverse tout le film et hante tous les personnages. Le regard neuf, c'est celui de Soraya, jeune et belle Palestinienne de la Diaspora, venue exercer “son droit au retour”, après la mort de son père. Une Palestinienne de Brooklyn, dont les parents ont grandi dans le camp de Nahr el Bared au Liban, puis en Jordanie, mais qui a gardé de sa culture d'adoption cet égocentrisme typiquement américain. Une Palestinienne en colère bien sûr devant les Israéliens, obligés de la tolérer en raison de son passeport US, mais aussi face à la richesse des notables de Cisjordanie – enfermé dans un micro-monde de restaurants chics et villas luxueuses – ou à l'impuissance des fonctionnaires palestiniens. La banque refuse de lui restituer le solde du compte de son grand-père (315 livres égyptiennes saisies en 1948) ? Soraya la braquera, avec l'aide de Emad, jeune serveur rencontré à Ramallah, bloqué loin de la mer depuis 17 ans, et de Marwan, apprenti-cinéaste “fatigué de filmer des check-points”. Ce hold-up artisanal conduira nos trois compères à chercher refuge en Israël, où déguisés en colons enthousiastes, ils referont le chemin de l'exil à rebours, vers une splendide maison de Jaffa pour Soraya, le village perdu de Dawaymia pour Emad. Cette virée clandestine est sans doute le plus beau moment du film. À la colère se mêle enfin l'émerveillement devant ces paysages interdits et sublimes. Le visage de Suheir Hammad, miroir superbe de ces émotions, est ici le parfait instrument de Anne-Marie Jacir. On pourrait reprocher à la réalisatrice un pathos parfois superflu – qui contraste étrangement avec des scènes d'amour maladroites et trop timides –, une colère trop démonstrative. Mais on s'en gardera, la réalité étant trop souvent à la hauteur de la fiction. Comme son héroïne, Anne-Marie Jacir, s'est vue expulsée et interdite de tournage en Israël et dans les Territoires, avant même la fin du film. Comme Soraya, depuis, elle n'a plus accès à la terre de ses ancêtres… R. A.