En plein cour de la cité, contiguë au défunt Souk el fellah, derrière ce qui a été le Carré des martyrs d'El Kala, avant qu'il ne soit déplacé et remplacé par des locaux commerciaux, il y a, pas très loin de l'esplanade du Maghreb, un petit bout de terrain planté des quelques chênes-lièges citadins qui ont survécu aux ravages du béton. Cette parcelle de quelques acres, envahie d'herbes folles, assiégée par des constructions qui ne cachent pas leur velléité d'extension, sert de dépotoir, comme tous les terrains vagues du pays. Sauf que dans ce cas précis, et à notre grande stupéfaction, nous avons appris de la part du voisinage qu'il y a là, dissimulées sous les herbes, des tombes. Surtout des tombes d'enfants. Et à y regarder de plus près, on peut en effet se rendre compte que ce qui semblait être de petits blocs de béton qui sont piétinés ou enjambés par les passants sont bel et bien des tombes. C'est le cimetière de douar Fernana (fernane = chêne-liège en arabe), nous racontent ceux qui logent à proximité. Il y a là, enfouie dans le sol, sous les ordures et les constructions, une cinquantaine de corps qui ont commencé à être inhumés au lendemain de l'indépendance et les derniers, il y a moins de dix ans racontent nos interlocuteurs qui nous donnent également le nom des familles qui ont des parents parmi les morts qui reposent dans ce cimetière. Une honte, disent-ils, non seulement pour les autorités qui ont été saisies à maintes reprises pour protéger ce lieu sacré et à qui on reproche surtout d'avoir accordé une faveur aux commerçants pour lesquels on a déplacé le Carré des martyrs pour leur livrer le terrain, à ne pas avoir eu autant de considération pour les autres morts ensevelis à moins d'une dizaine de mètres. Ils pestent également contre les gens du quartier qui y jettent leurs ordures insultant ainsi la mémoire des défunts. Ils ne font preuve d'aucune marque de respect à l'égard des morts du cimetière de Fernana, dont beaucoup, pour une raison qui reste d'ailleurs à déterminer, sont des enfants. Si on laisse faire, disent-ils, ce cimetière, qui fait par la même occasion office d'espace vert dans un champ de construction anarchique, sera, il ne faut pas se leurrer, livré au béton. « Même les morts ne les arrêtent plus », lance un voisin à l'adresse de ceux qui convoitent le cimetière des enfants oubliés.