Nous sommes en février 2001. Ali Benflis, alors chef du gouvernement, effectue une « ziara tafaqoudia », une visite de terrain, à Constantine et d'autres wilayas de l'est du pays. Observant une halte à Oum El Bouaghi, les journalistes ainsi que certains fonctionnaires du premier ministère qui étaient du voyage sont logés dans un hôtel averti à l'avance de la visite. A la stupéfaction générale, les draps ne sont même pas changés, les chambres sont dans un état catastrophique. Il n'y pas d'eau. L'hygiène laisse à désirer. L'un des membres du staff de Ali Benflis a dû passer la nuit dans la réception. Visite officielle… Cet hôtel d'Oum El Bouaghi n'est malheureusement pas une exception. Et six ans après ce constat que nous avons fait par nous-mêmes, les choses ne semblent pas avoir beaucoup évolué. A chaque déplacement à Alger ou à l'intérieur du pays, agents commerciaux, avocats, cadres d'entreprises, délégués médicaux ou simples citoyens venus consulter un médecin spécialiste ou se faire établir un document administratif quelconque l'apprennent à leurs dépens : la plupart de nos hôtels, tout particulièrement la gamme des 0-2 étoiles, sont infréquentables. Autre constat : plusieurs chefs-lieux de wilaya manquent cruellement d'hôtels. Une ville comme Relizane par exemple ne disposait jusqu'à une date récente que d'un seul hôtel, au demeurant fermé. Les gens de passage sont contraints de « crécher » dans l'auberge de jeunesse jouxtant le cimetière de la ville ou se déplacer à Oued Rhiou, à 45 km. Une métropole régionale comme Constantine n'avait que le Cirta et le Panoramique et deux ou trois hôtels périphériques. Oran est quantitativement, de loin, mieux lotie, mais le gros de son parc hôtelier est constitué d'établissements d'une piètre qualité. Mila, Tissemsilt, Aïn Defla et d'autres villes souffrent du même manque en infrastructures d'hébergement plus de vingt ans après avoir été érigées en wilaya. Hôtels ou dortoirs ? Immeubles carrés et lugubres, chambres glauques, draps sales, lits grinçants, mobilier branlant, équipements délabrés, manque d'eau, manque d'aération, robinetterie rouillée, infiltrations douteuses qui suintent de partout, sanitaires infects, intérieur sentant le renfermé, prestations médiocres, personnel non qualifié, pas de climatisation, pas de téléphone, pas d'internet, pas de plan de la ville ou un quelconque guide à la réception, bref, la liste des griefs est longue. Un état des lieux largement partagé par les routards et autres habitués des nuitées improbables. Cela dépend certes de la catégorie de l'hôtel, de sa qualité de gestion et de son entretien. Mais il convient tout de suite de préciser que l'objet de cette enquête est la catégorie des 0-3 étoiles qui sont, aux dires d'un observateur, « l'ossature même de l'activité touristique ». Un examen furtif du parc hôtelier national montre d'emblée que le gros de nos infrastructures hôtelières sont des « dortoirs », pour reprendre le qualificatif d'une inspectrice du tourisme. Au besoin, les chiffres corroborent ce diagnostic. Selon une source de l'Office national de tourisme (ONT), 80% de nos hôtels ne répondraient pas aux normes réglementaires. « Officiellement, 1004 établissements hôteliers sont recensés au niveau national. Parmi eux, quelque 800 hôtels ne sont pas conformes à la réglementation », indique cette source qui a requis l'anonymat, un cadre rencontré au Salon international du tourisme qui vient de se tenir à la Safex du 20 au 24 mai. Suite à une campagne générale de mise à niveau diligentée par le ministère du Tourisme, 103 établissements hôteliers ont été fermés en 2006. A l'occasion de la préparation de l'année de la culture arabe, M. Zerhouni avait, lors d'une séance de travail avec le wali d'Alger en juillet 2006, martelé à propos des hôtels pourris de la capitale : « Les taudis ne seront plus tolérés ! » Le syndrome de l'hôtel Le Square Petite tournée à travers certains hôtels algérois. Premier constat : force est de relever une nette amélioration dans la tenue d'un certain nombre de petits hôtels, et cela pour deux raisons essentielles : l'année de la culture arabe, c'est vrai, avec, comme on vient de le voir, les fermes instructions de Zerhouni au wali d'Alger l'été dernier, mais il y a lieu de citer aussi un autre fait marquant : l'affaire de l'hôtel Le Square qui a jeté l'effroi dans le petit monde des hôteliers. Nous sommes le 19 décembre 2005. Au milieu de la nuit, l'hôtel situé près du TNA craque de partout avant qu'une aile entière de la structure ne s'effondre sur ses occupants. Bilan : 8 morts. Le gérant invoque un problème d'infiltrations d'eau qui en a fragilisé le socle. Le sous-sol, insiste-t-il, constitué de locaux commerciaux, ne fait pas corps avec l'hôtel. Quoi qu'il en soit, cette triste affaire a sonné l'alarme. Les autorités ont lancé des campagnes d'inspection dans les hôtels pour prévenir d'autres catastrophes. « Nous avons exigé de tous les établissements hôteliers un contrôle du CTC », dit Leila Lekbir, inspectrice principale à la direction du tourisme de la wilaya d'Alger, avant de souligner : « 70% du parc hôtelier de la wilaya d'Alger date de l'époque coloniale. » Un an et demi après ce drame, l'effet est là avec ce sursaut de professionnalisation. Nous voici à l'hôtel El Badr, anciennement hôtel des Bains de Chartre, situé en contrebas de la rue de la Lyre, pas loin de ce qui fut l'hôtel Le Square justement. « Lorsqu'il y a eu le séisme de 2003, la bâtisse n'a guère bougé. Nous faisons très attention aux infiltrations d'eau qui sont l'ennemi des murs », dit le gérant. L'hôtel qui date de 1890 est un bijou architectural. Une tournée dans les chambres montre un établissement plutôt bien tenu. Une jolie fontaine trône au milieu d'un magnifique patio à l'ancienne, avec de belles arcades mauresques tout autour. Les escaliers sont en marbre, le parquet en vieux carrelage écarlate. Sur le comptoir, une citation de Malek Haddad : « On n'arrive jamais pour la première fois en Algérie. Et lorsqu'on s'en va, on ne la quitte pas pour toujours. » Des photos d'époque ornent les murs. Un « maqnine » (chardonneret) typiquement algérois chantonne dans sa cage. L'emplacement de l'hôtel au cœur du vieil Alger, dans la Basse-Casbah, son aspect pittoresque et surtout les prix très abordables de ses chambres (entre 450 et 600 DA) en font un établissement très apprécié des touristes étrangers. « Avant les événements, il y avait beaucoup de touristes étrangers qui descendaient ici », confie le gérant. « Alger, c'est la ville tré joli » Sur le registre de doléances, des pages écrites en… japonais. Un touriste nippon qui a transité par là en 2003 a laissé ces lignes qui en disent long : « Alger, c'est la ville tré joli... Pourquoi il y a pas beaucoup de tourists ? (a la même temps, je souhaite la douche à l'hôtel) » (sic). « Le seul problème que nous avons, c'est l'insécurité. La rue est déserte le soir et des voyous infestent le secteur », dit l'un des réceptionnistes. Rue Bouzrina. Un petit hôtel, Dortoir Pacha, vient de changer de statut et d'accéder au rang d'hôtel en bonne et due forme. 400 DA la nuitée. Le tenancier des lieux nous fait un tour du propriétaire. « Ils m'ont fermé l'hôtel pour soi-disant non-conformité. Quel est ce fou qui va investir dans ce pays ? », dit-il. Le gérant évoque le comportement des clients, thème cher à tous les hôteliers qui, pour justifier certains manquements, jettent la balle dans le camp de certains clients qualifiés d'indélicats. « L'un te vole une serviette, l'autre te casse un meuble, un troisième te salit un drap. Comment veux-tu entretenir ton hôtel avec ces gens-là ? », peste un réceptionniste. Un hôtelier de La Casbah confie : « Moi, je préfère les ‘‘Africains''. Je leur fais un prix. Ils sont plus sérieux que les nôtres. » Hôtel Akfadou, petit établissement situé dans une impasse de la rue Bab Azzoun. 600 DA la chambre. M. Mohammedi, le propriétaire, est un ancien émigré rentré au pays au début des années 1990. « J'ai mis toutes mes économies dans cette affaire », dit-t-il. L'homme investit près d'un milliard cash pour la réfection de l'hôtel. Après le séisme de 2003, il a dû débourser un autre milliard. « Il a fallu tout refaire », dit-il. Remis à neuf, l'hôtel tranche avec son environnement fait de bâtisses menaçant ruine et autres commerces ne payant pas de mine. Nous sommes « bluffés » par l'excellent état de l'établissement. « Il y a même les douches à l'étage », lance la cogérante. M. Mohammedi se plaint d'entraves administratives. « Tout le monde veut qu'on lui graisse la patte pour le moindre papier. La corruption a gangrené ce pays. Voilà pourquoi le peuple n'a pas voté ! », assène-t-il. En remontant la rampe Bugeaud, l'hôtel Régina. Un deux étoiles. 3000 DA TTC et tout confort, 1500 pour une chambre simple avec douche. « Ça marche très fort pour nous, fait un réceptionniste. Nous avons même reçu Rachid Taha tout récemment », se vante-t-il, avant d'ajouter : « Nous travaillons beaucoup avec les étrangers. Il y a beaucoup de pieds-noirs qui viennent en ce moment. » Même son de cloche à l'Albert 1er, 3 étoiles emblématique sur l'avenue Pasteur construit vers 1930. Prix de la chambre : 4500 DA. Le chef réceptionniste lance : « L'hôtel marche très bien mais le salaire ne suit pas. » L'homme touche 30 000 DA pour… trente ans de carrière, ce qui explique en partie pourquoi les réceptionnistes formés boudent le secteur, laissant la place à des énergumènes sans le moindre entregent, sans aucun sens du « contact ». Une direction du tourisme délabrée Nous sommes maintenant à la direction du tourisme de la wilaya d'Alger, près de la rue Tanger. « Si nous devons appliquer la réglementation, 120 parmi les 160 hôtels de la capitale seraient fermés. Nous avons à peine une quarantaine d'hôtels classés. 70% du parc sont vétustes », dit Lekbir Leila, inspectrice principale, chef du bureau contrôle et suivi des activités touristiques. Notre interlocutrice évoque un manque flagrant d'inspecteurs : « Quand j'ai fini mes études en 2001, je faisais partie d'une promotion de dix inspecteurs diplômés de l'Ecole nationale supérieure de tourisme d'El Aurassi. En venant ici, nous étions une vingtaine au total. Aujourd'hui, nous ne sommes plus que cinq. La plupart des inspecteurs sont partis, qui à Air Algérie, qui dans une agence de voyages, qui dans une base du Sud ou à l'étranger, et cela à cause du salaire. » De fait, un inspecteur est payé 14 000 DA à peine ! La mission de contrôle se trouve d'autant plus amoindrie que les hôtels ne sont pas l'unique champ d'intervention de ces inspecteurs qui font quasiment office de « police touristique ». Ils doivent contrôler quelque 40 restaurants classés, 200 agences de voyages et une douzaine de zones d'expansion touristique. « En ce moment, nous sommes en pleine préparation de la saison estivale. Nous avons 80 plages à contrôler », dit Mme Lekbir. L'inspectrice ajoute qu'à l'issue de l'opération de mise à niveau lancée fin 2005, une trentaine d'hôtels ont été fermés à Alger. « La plupart de nos hôtels sont des dortoirs. Même quand la construction et les équipements répondent aux normes, la prestation ne suit pas. Le rapport qualité/prix est faussé. Les bons réceptionnistes vont tous vers les grands hôtels. » Et de souligner : « Il faut procéder graduellement à leur mise à niveau. Il y a une forte tension sur les chambres. Le tourisme d'affaires marche très fort. Dans la ville de Rouiba, qui jouxte une grande zone industrielle, il n'y a que trois hôtels. Cela ne suffit pas. » Détail hallucinant : les locaux où travaillent nos inspecteurs laissent eux-mêmes à désirer et ne sont guère dignes d'une direction du tourisme. Les bureaux, des box en contreplaqué, sont exigus et pas du tout aérés. « Nombre de mes collègues ont contracté l'asthme et d'autres allergies. Ces conditions difficiles influent négativement sur notre rendement », fait remarquer l'inspectrice en chef, avant de nous confier : « Il m'arrive de convoquer ici les gérants de certains hôtels pour répondre d'un manquement quelconque aux normes, et cela me fait honte. Quand ils voient l'état de ces locaux, ils nous disent : vous devriez commencer par vous-mêmes. Je ne peux pas enjoindre à un hôtel 5 étoiles de faire porter la toque à ses garçons de livrée, et, en même temps, officier dans ce trou. » A chaque salon du tourisme, on sort de la Safex avec une tonne de prospectus, la tête remplie de bruit et de rêves balnéaires. Rêves qu'on abandonne très vite sur le parvis du premier hôtel sans eau, en bord de mer. Cela a un nom : une douche froide…