Beaucoup de mes congénères se souviennent du regretté Salah Djebaïli, l'homme aux multiples facettes. D'abord, le joueur vedette du grand club sportif de Nîmes, du début des années 1960. Rentré définitivement à Alger à la fin de ces mêmes années, avec un doctorat d'écologie en poche, il ne cessa pas pour autant d'allier ses activités universitaires avec sa passion pour le sport. Nous l'appelions affectueusement « le mastodonte des stades ». Nous, c'est-à-dire, les cadres de l'Etat et sportifs du dimanche, qui allions une fois par semaine nous dérouiller au stade tout neuf du 5 Juillet. Les étudiants de l'université Houari Boumediène se souviendront longtemps de leur recteur, lâchement assassiné. Ils se souviendront longtemps des cours magistraux de ce professeur d'écologie et défenseur passionné de la steppe algérienne. Il me téléphona un jour de 1989, pour me demander de faire un papier sur la désertification des zones alfatières, en me faisant partager ses inquiétudes et en me communiquant des statistiques hallucinantes sur les progrès de la désertification dans notre pays. Mais, qui se souvient de Salah Djebaïli, en tant que cofondateur du premier comité national pour l'environnement, créé au sein du Conseil économique et social en 1970 ? Ayant eu l'honneur d'avoir été désigné comme rapporteur général des travaux de ce comité – qui comptait une vingtaine de membres — j'ai eu le loisir d'apprécier la contribution combien précieuse de si Salah Djebaïli. Entre le moment où nous avions organisé cahin-caha les premières journées d'information sur le thème tout neuf de l'environnement et la brillante et active participation de l'Algérie à la première conférence mondiale sur l'environnement (Stockholm, juin 1967), un gigantesque travail d'études, de documentation, de collecte et/ou d'élaboration de monographies et autres rapports sectoriels avait été accompli. Durant les deux années qui avaient précédé la conférence de Stockholm, les délégations algériennes étaient de toutes les conférences préparatoires et autres séminaires organisés par les Nations unies à travers le monde. Et notre avance, en matière de maîtrise des dossiers, faisait invariablement désigner l'Algérie comme présidente ou rapporteur de ces conférences régionales ou sectorielles. En particulier, le trio constitué par Mme Hania Semichi, Salah Djebaïli et moi-même avait été affublé du sobriquet de « mousquetaires du tiers-monde ». A Dakar où se tenait un séminaire de coordination des pays d'Afrique, l'Algérie a introduit pour la première fois la notion de « responsabilité écologique des ex-puissances coloniales », du fait de leur exploitation inconsidérée des ressources naturelles des pays colonisés. A New York, en mars 1972, où j'avais l'honneur de diriger notre délégation à la dernière conférence préparatoire à celle de Stockholm, et sur instructions du gouvernement, notre délégation a soulevé, également pour la première fois, le problème majeur sur lequel devait buter plus tard la conférence mondiale, à savoir que les contraintes écologiques ne devaient en aucune façon constituer un frein pour le développement des pays du tiers-monde : la fameuse phrase : « L'Algérie ne sacrifiera pas son développement sur l'autel de l'environnement », avait alors fait le tour de toutes les rédactions du monde (cf EI Moudjahid, dans l'un des numéros de mars 1972). Mais le meilleur allait être atteint à Stockholm, où les « mousquetaires algériens » n'ont eu de cesse, durant les deux longues semaines qu'a duré la conférence, 5/20 juin 1972 de faire du lobbying pour la cause des pays du tiers-monde afin que le nouveau concept juridique « les pollueurs doivent être les payeurs » puisse être reconnu. Nous étions à peine une poignée de cinq ou six Algériens qui constituaient notre délégation mais on nous voyait partout et nous étions présents dans toutes les instances de la conférence mondiale, en particulier au bureau de celle-ci, le Dr Salah Djebaïli, siégeant lui, dans le prestigieux comité scientifique où il a dignement représenté notre pays. Enfin, il faut rappeler que c'est grâce au travail de coulisse de la délégation algérienne en direction des pays du tiers-monde que le choix du 5 juin comme Journée mondiale de l'environnement a été adopté. Un choix qui n'était pas innocent, puisque notre délégation – lors de la séance d'explication du vote — a déclaré que l'Algérie entendait coupler cette date, dans la conscience internationale, avec celle du 5 juin 1967, marquant l'agression sioniste contre les pays arabes, déclaration qui a entraîné la sortie de la délégation israélienne. Cette brève rétrospective ne doit en aucune façon être interprétée comme une demande de reconnaissance à l'endroit des pionniers de l'environnement dans notre pays. D'autant que cette reconnaissance a été déjà exprimée en son temps par la voix autorisée de Maurice Strong, alors secrétaire général du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), qui a rendu un hommage remarqué à notre délégation, au cours de la conférence de presse qu'il a donnée à l'issue de la clôture de la conférence mondiale. Il s'agissait, essentiellement ici, de rendre un hommage mérité à ce pionnier passionné de l'environnement et des problèmes de la steppe algérienne, que fut le regretté Salah Djebaïli.