Plus que l'éclat éblouissant de la poésie de Safia Marwani(1), il nous plaît d'écouter son chuchotement confidentiel et sa respiration profonde selon le souffle des mots qui portent témoignage sur elle-même(2) : « Rien de plus désolant qu'une mare croupissante Rien de plus affligeant qu'une colline sans arbre Rien de plus amer qu'un jour sans pain Rien de plus vide qu'une nuit sans amour Et sans toi mon ruisseau Mon peuplier Mon pain Mon amour Je suis amère et vide Comme un jour sans pain Une nuit sans amour. » Parfois, des images surgissent, hallucinantes, pleines d'une stupeur panique. L'odeur des citrons dans la clarté méditerranéenne, la plongée dans la paix diffuse de l'été, quelques drapeaux qui claquent au vent, les cailloux d'un rivage sous la canicule immobile : « Et je contemple parmi les branches des citronniers, au loin, Les palpitantes écailles de la mer ; Les crissements tremblants des cigales S'élèvent des pics dénudés. Et tandis que j'erre sous le soleil aveuglant Je sens avec un triste émerveillement Que la vie et sa peine tiennent toutes entières Dans cette marche le long d'une muraille... » La poésie de Safia Marwani naît de deux motifs : la nostalgie d'un univers fabuleux, qui se situe toujours dans le passé, dans le souvenir, et la hantise d'un éden primitif, solaire, découpé en dehors de l'espace et du temps, dans une matière éternelle affranchie des changements de la durée : « L'ombre refuse d'avancer Le chant nous guette Les filles aux voiles noirs cueillent les débris du soleil Et son chant souterrain. » Mais le temps est irréversible ; le monde semble exister, avec une fallacieuse et fugitive perfection, dans l'instant présent. Puis la possession rêvée disparaît, la beauté s'efface. Vaine anxiété de sortir de sa propre solitude, pour se retrouver dans les choses, dans le visage fraternel des formes terrestres ! : « Ciel gris, murs gris, fumée grise La lune des pauvres On ne la voit pas On l'imagine On en rêve... Belle comme la terre Qui vaut bien un voyage horizontal Pour tous les hommes Parmi tous les hommes Parmi les hommes... Mes frères. » La poésie de Safia Marwani est un vol bref, mais avec des ailes qui n'ont pas été fabriquées avec les plumes des morts. 1) Poétesse tunisienne, née à Bizerte en 1968. 2) Elle a publiée 3 recueils de poèmes (Nuits sans lune, Amours contrariées, Fleurs fanées, femmes épanouies).