Plusieurs enquêtes sur le blanchiment d'argent ont été ouvertes par les autorités judiciaires suite à une saisine officielle par des juridictions européennes, a révélé hier le directeur des affaires pénales au ministère de la Justice. Après Rabat et Amman, Alger accueille, depuis hier et ce jusqu'à mercredi, le séminaire régional sur la délinquance économique et financière et le blanchiment d'argent. A ce colloque, coorganisé par les ministères français de la Justice et des Affaires étrangères et les autorités algériennes, prennent part des experts algériens et français et des représentants de 12 pays arabes, essentiellement des magistrats et des fonctionnaires de police spécialisés dans la lutte contre les phénomènes en question. Le choix d'Alger, pour Hamed Abdelouahab, conseiller au cabinet du ministre de la Justice, est des plus « fortuits ». « C'est la partie française avec qui nous avons depuis 4 ans une coopération intense qui nous a demandé d'abriter cette 3e édition du séminaire », affirme-t-il dans le souci de déconnecter l'événement des scandales qui secouent depuis des mois la place financière algérienne. L'objectif de ces rencontres, explique-t-il, est de regrouper l'ensemble des praticiens français et du monde arabe pour échanger leurs expériences sur ces phénomènes qui « affectent particulièrement les pays en transition socioéconomique » d'où la nécessité de « préparer une réponse commune et concertée ». Messaoud Boufercha, le secrétaire général du ministère de la Justice, mettra le doigt dans son allocution d'ouverture, sur le « danger » que constituent les crimes économiques pour la sécurité et la stabilité des Etats et sur la « sophistication » des moyens qu'utilisent les « groupes criminels qui rendent difficile, voire presque impossible parfois, la distinction entre les revenus légaux et l'argent sale », déclare-t-il. Pour expliquer la multiplication des scandales financiers touchant les banques, le directeur des affaires pénales au ministère de la Justice, Lakhdari Mokhtar, évoque deux raisons essentielles. D'abord, dit-il, le contexte de « transition socioéconomique » que connaît le pays, et « l'absence de mécanismes de contrôle ». « Dans les affaires mettant en cause les banques, les organes de contrôle interne étaient défaillants et les mécanismes prévus par le code du commerce et dans les différents textes réglementaires inopérants », constate-t-il. Les biens mal acquis seront confisqués L'action de l'Etat contre cette nouvelle forme de criminalité ne devrait pas être considérée, selon notre interlocuteur, comme un « fait nouveau ». M. Lakhdari dira : « Peut-être qu'autre fois, on appelait cela : moralisation de la vie publique ou protection des deniers de l'Etat, mais cette action a toujours existé… depuis 1966, année durant laquelle ont été créées des juridictions spécialisées dans la lutte contre le crime économique. » L'actuel dispositif de lutte contre la délinquance économique et financière et le blanchiment d'argent innove, d'après le même responsable en ce qui a trait au délai de traitement des affaires. « La loi sur la corruption par exemple a été adaptée à la réalité judiciaire et socioéconomique algérienne et permet de traiter avec célérité ce type de délits aggravés. Le tribunal correctionnel compétent met désormais une année pour clôturer les dossiers au lieu de trois, voire quatre années, comme c'est le cas par le passé ». La loi, ajoute-t-il, en plus de la peine privative de liberté prévoit des peines « accessoires » telles que la confiscation et la saisie des biens d'origine illicite, et « même lorsqu'ils sont aux mains d'ascendants ou de descendants des personnes impliquées (…) ce qui est important », souligne Lakhdari et ajoute également que dans les dispositions relatives à l'enrichissement illicite, il est stipulé que la « preuve de l'origine du bien est la charge du mis en cause ». Comme pour signifier que le nouvel arsenal juridique commence à porter ses fruits, le directeur des affaires pénales révèle que les autorités judiciaires, après qu'elles ont été saisies officiellement par des juridictions européennes (sans préciser lesquelles) ont ouvert une dizaine d'enquêtes mettant en cause des Algériens qui auraient blanchi de l'argent sale. Les mis en cause, dont l'identité n'a pas été divulguée, auraient acquis des biens en Algérie avec des fonds provenant des filières de trafic de stupéfiants. Cultivant le mystère, M. Lakhdari avoue que les fonds en question n'ont pas emprunté « les circuits bancaires », mais ont été introduits « clandestinement » sans donner plus de détail. « Pour l'heure, je ne peux pas vous en dire davantage, car, dit-il, les investigations sont encore au stade préliminaire. » D'après lui, pour pouvoir situer le « gisement » de blanchiment d'argent en Algérie, il faut le chercher dans la sphère de la « masse monétaire non comptabilisée », autrement dit, le secteur informel. Le blanchiment d'argent représente dans le monde un volume encore très important. Pour l'estimation des montants, le juge français, Vincent Montrieux, du bureau économique et financier au ministère de la Justice, reprend celle donnée par le FMI : 2 à 5% du PIB mondial. Encore, dit-il qu'« il ne s'agit là que d'une évaluation louche ». Pour lutter efficacement contre la criminalité mondialisée, une seule parade : « Il faut harmoniser les législations de tous les pays. »