Depuis des décennies, les intellectuels algériens font des analyses, affinent leur diagnostic sur la situation politique, économique et sociale de l'Algérie, mais aucune initiative débouchant sur des actions communes ou une alliance de l'ensemble des forces n'ont vu le jour. Beaucoup d'intellectuels de tout bord sont conscients que le pays mérite mieux. Mais l'impact de leurs réflexions sur l'évolution des événements, sur la définition des options politiques et économiques demeure insignifiant. Au moins deux raisons peuvent apporter une explication sur cette incapacité d'agir, d'influer et de peser dans le processus décisionnel. La première raison est due au comportement de cadres et intellectuels. En réalité, il y a absence d'une vision stratégique commune, une démarche à suivre, une sorte de « compromis historique » qui laisse de côté, pour un moment, les clivages idéologiques et vise un seul objectif stratégique : participer activement à la vie politique du pays pour aider à réformer le système et sortir l'Algérie de cette inefficacité structurelle de ses institutions. En effet, les intellectuels, sans constituer des groupes conscients, ont opté d'une manière dispersée pour des démarches individuelles et ponctuelles. Durant la guerre de libération, la position des intellectuels était forte et influente. Ce n'est pas le cas depuis l'indépendance. Nous retenons quatre principaux comportements des intellectuels algériens face au système. Des intellectuels, se sentant exclus, ont opté volontairement pour l'indifférence pour tout ce que font les décideurs. Certains ont opté pour des actions individuelles sans aucun effet sur l'évolution des choses, d'autres ont voulu s'intégrer dans le système pour, disent-ils, le pousser à se réformer de l'intérieur, une autre partie a choisi par opportunisme ou par conviction de se dissoudre pleinement et complètement dans le moule réservé par le système aux intellectuels. Cette dispersion et l'absence de position et d'actions communes bénéficient au système en place.La deuxième raison, qui explique l'incapacité des intellectuels et spécialistes algériens à influer sur les événements, trouve son origine dans la nature de la politique menée depuis l'indépendance par le système et qui vise à discréditer l'intellectuel et le savoir, parce qu'il est conscient que le danger de remise en cause ne peut venir que de cette partie de la société. Pour le paysan, l'ouvrier, le cadre moyen, le système a mis en place une trappe entretenue depuis les années 1970 et qui consiste à faire croire aux citoyens que des mesures s'élaborent à leur profit. Il les maintient ainsi en permanence en attente de quelque chose. « Réagir » peut mener donc à une incertitude, à une perte d'un espoir, d'un logement en construction, d'un emploi promis, d'un changement en cours, affirmés par les politiques et soutenus, expliqués et confirmés par les médias publics. Pour le professeur Senhadji, c'est le FLN qui se suicide, non le parti il sait ce qu'il fait et il excelle dans sa stratégie à se maintenir au pouvoir quelles que soient les difficultés que rencontre le pays. Ce sont les citoyens qui payent le prix de la démarche que vous dénoncez à juste titre. Tous les indicateurs utilisés pour apprécier la situation d'un pays classent l'Algérie au delà de la 90e place. Beaucoup de pays arabes et africains, avec des moyens limités, arrivent et réussissent à améliorer leur situation économique : réduction de la dépendance vis-à-vis de l'exportation d'un seul produit, amélioration de la productivité, développement d'entreprises privées efficaces et compétitives, ouverture économique mesurée et maîtrisée au grand bénéfice de leur économie, amélioration effective du climat des affaires, augmentation significative des IDE. En un mot, ces pays s'intègrent dans la mondialisation en tant qu'économie active dans un processus de gagnant-gagnant sans être une victime de l'internationalisation des échanges. Ce sont là quelques conditions d'une bonne gouvernance. Les données de l'économie algérienne confirment que le pays accentue sa dépendance vis-à-vis des recettes pétrolières, la libéralisation se fait au détriment des opérateurs locaux, la productivité et la compétitivité demeurent très faibles, les investiss ements publics sont importants mais peu efficaces par manque d'un management adéquat, par un déficit en qualification, par un système de formation sclérosé, par l'absence de concertation et de participation. Le marché informel devient le principal régulateur de l'économie. Le résultat, le pays est loin de pouvoir frapper à la porte des pays émergents ou en transition. Le système gère le passage à une économie libérale avec le même esprit, les mêmes idées, outils et démarches utilisés dans les années 1970 pour créer et gérer une économie socialiste qui a d'ailleurs conduit à un échec... Ce sont les intellectuels et les spécialistes, comme M. Sanhadji, qui jouissent d'une compétence reconnue et d'une intégrité admise par tous, qui peuvent constituer autour d'eux des groupes ou associations (ne parlons pas pour l'instant de parti) qui peuvent devenir grâce à leur crédibilité et leurs compétences des facteurs ou des moteurs de changement qualitatif progressif mais certain. La création d'une telle dynamique est possible, elle est souhaitable, voire la seule alternative. La composante actuelle du paysage politique ne montre aucun indice d'espoir d'un changement vers une démocratie réelle, vers une gestion efficace, vers une bonne gouvernance. Les cadres algériens, en particulier les intellectuels, ont une responsabilité envers ce pays. Il est impératif que nous changions de démarche. Les réactions individuelles et ponctuelles n'ont jamais conduit à des révolutions. Seuls le travail de réflexion commun et une stratégie à moyen et long termes peuvent permettre aux compétences algériennes de reprendre leur place dans le développement du pays et d'agir en toute indépendance pour l'intérêt du pays et non pas pour renforcer la pérennité d'un système. L'auteur est cadre en retraite