René Vautier n'aime pas que les caméras soient braquées sur sa personne. Le rituel des hommages non plus « un hommage, c'est un peu funéraire, n'est-ce pas ? », nous a-t-il malicieusement glissé lors de la cérémonie d'ouverture des 5es rencontres cinématographiques de Béjaïa, qui lui réserve donc un hommage pour tout ce qu'il a fait pour le cinéma algérien. Le créateur des ciné-pops dans les années 1960 devait être le personnage central de Algérie tours/détours, documentaire que lui ont consacré deux cinéastes françaises et projeté pour la première fois, lundi dernier à la maison de la culture de Béjaïa. II n'en a été finalement qu'un guide, qui d'ailleurs s'effacera au fils des images pour « permettre que la parole soit donnée à ceux à qui elle est refusée ». « Un bagage », s'est-il encore plu à se définir, reprenant le mot du chauffeur de bus qui a fait le périple du tournage. Oriane Brun-Moschetti et Leïla Morouche ont tenté de remonter l'itinéraire de celui qui a filmé les maquis de l'intérieur, puis a lancé le cinéma itinérant dans l'euphorie qui a suivi l'indépendance. L'objectif déclaré de la réalisation étant de replonger dans l'histoire pour mieux comprendre la situation actuelle du pays sur le plan du cinéma. Le documentaire, qui s'ouvre sur les décombres d'une Casbah d'Alger en ruine et saturée de gravats et d'immondices, annonce dès le départ la couleur. Les séquences filmées en 2004 frappent très vite par la consistance qu'elles donnent au désastre. Les gens filmés dans la rue ne sourient pas et s'abîment dans un infini désarroi en regardant la mer. Une Algérie qui en a gros sur le cœur. Les gens du 7e art reviennent sur la dissolution des trois entreprises de cinéma avec amertume, disent ne pas croire en les nouvelles promesses de relance ou, à l'image Boudjemaâ Karèche filmé pratiquement dos au mur, se répandent en questionnements lancinants sur le fait que le mal vivre se ressent ainsi plus fortement 40 ans après l'indépendance qu'à ses lendemains. Par le moyen d'un ciné-bus, datant de 1975, la tournée est faite à Béjaïa, Tébessa, Biskra puis Tizi Ouzou. Le documentaire filmera les projections de l'Algérie en flammes, le Charbonnier, Afrique 50, Chroniques des années de braises... Autant de bobines anciennes consacrées à la lutte pour la libération et soumises au regard du public dans des cités universitaires, des salles de centres culturels et autres. Ce sont les réactions du même public, jeune pour la plupart, qui intéressent la caméra. Et c'est là que le mal vivre, souvent visible sur les visages saisis en gros plans, est repris pratiquement en chœur et sur plusieurs variations par des Algériens tenaillés par l'angoisse des lendemains. Le prétexte des images de la guerre de libération, des atrocités du colonialisme, ne faisant que creuser l'écart entre la somme de sacrifices et le sinistre qui a frappé l'idéal pour lequel ils ont été consentis... le documentaire montre une Algérie où les salles de cinéma sont délabrées et du matériel de projection antédiluvien travaillé assidûment par la rouille (salle Zaâtcha à Biskra). Comme est livré au désastre un parc de loisirs dont les nacelles ont crashé lamentablement au pied d'une grande roue qui ne tourne plus. Le film zoome sur les plaies nombreuses d'un pays qui n'a pas seulement mal à son cinéma, en privilégiant, ou seulement en cédant à la tentation de l'image choc. Une façon de faire qui a retenu l'attention du public lundi dernier, dont certains semblaient découvrir le degré de déliquescence qui touche leur propre pays. C'est une participante marocaine qui trouvera que le documentaire a péché par cette tendance, assez fréquente dans le regard jeté par des étrangers sur la vie de ses différences de ce côté-ci du monde, d'opter plutôt pour le côté le plus calamiteux des réalités. René Vautier dans tout ça ? Celui que l'on considère comme le papa du cinéma algérien avait prévenu. Lui qui répugne aux hommages s'est effacé pour laisser réagir les autres, leur donner la parole, ouvrir le débat.