Un nouveau concept est en train de prendre forme dans de nombreux cercles qui planchent sur les stratégies des organisations (Etat, entreprises, services, autorités de régulation…), c'est celui de l'intelligence juridique. On connaît l'intelligence économique et ce qu'elle a charrié comme travaux, études et actions concrètes dans le domaine de la gouvernance et des anticipations économiques. Et c'est dans les groupes d'intelligence économique où participent très peu de juristes que le besoin d'associer les hommes du droit s'est vivement exprimé pour donner plus d'efficacité aux stratégies qui se conçoivent en laboratoire avant de se décliner sur le terrain. Le droit est devenu ainsi une des composantes de l'intelligence économique. Ce qui a fait dire à certains spécialistes de la question que l'intelligence juridique est la fille de l'intelligence économique. La guerre économique devient par la force de la concurrence aussi juridique. L'intelligence juridique est comprise comme un appui des opérations d'intelligence économique par la recherche, le traitement et la transformation d'informations à usage juridique en connaissances. L'objectif recherché est de permettre à l'entreprise ou à toute institution d'éluder les contentieux et à défaut de gagner le procès devant les tribunaux. Mais aussi de consacrer la reconnaissance et la protection juridique des droits incorporels de l'entité. En d'autres termes, la finalité de l'intelligence économique ne se limite pas uniquement à collecter et traiter des informations stratégiques, elle doit également permettre à l'entreprise d'avoir juridiquement raison. Quel est alors dans cette configuration la place du droit ? C'est tout simplement l'assurance que toute action d'intelligence économique s'exerce en conformité avec les règles de droit. Ainsi la question traditionnelle " ai-je le droit de faire ceci ou cela ? ", appelle deux niveaux de réponse, dont l'un est élémentaire, mais pas nécessairement évident pour autant, c'est le domaine classique du comportement pénalement sanctionné (intrusion dans le système informatique ou inobservation d'un texte qui donnera lieu à une sanction pénale ou administrative, comme le retrait d'une autorisation par exemple). L'autre niveau de réponse s'inscrit dans les relations avec les autres entreprises, qu'elles soient partenaires ou concurrentes. Si on prend le domaine contractuel, il est tout à fait logique de se poser la question sur la solidité, au plan juridique, de tel contrat passé par l'entreprise. La sanction d'une erreur d'appréciation en la matière sera en fin de course financière. Le droit doit donc impérieusement être un outil intégré le plus en amont possible dans la démarche d'intelligence économique, dont il est une variable stratégique. Si une telle démarche d'intelligence juridique a déjà plus ou moins cours dans de nombreuses grandes entreprises ou institutions, beaucoup de petites et moyennes industries n'en perçoivent pas encore la nécessité. Et pourtant leur survie en dépend parfois. L'un des soucis majeurs de l'intelligence juridique sera la protection du patrimoine de l'entreprise. On sait que les actifs physiques sont, en raison de leur caractère tangible, les mieux protégés, tant sur le plan technique que juridique. En revanche, la protection du patrimoine incorporel constitue un vrai casse-tête, d'où la nécessité pour l'entreprise d'acquérir une vision claire de son patrimoine incorporel, qui comprendra tout ce qui a de la valeur pour elle-même : son patrimoine intellectuel tel que ses inventions, ses savoir-faire… lesquels ne sont pas nécessairement protégés par un dépôt. On ajoute à cela aussi le patrimoine informationnel de l'entreprise, c'est-à-dire les informations de toute nature la concernant et dont la divulgation serait de nature à lui porter préjudice. L'entreprise ne dispose souvent que d'une image comptable de ses actifs incorporels. Or, leur valorisation au bilan ne poursuit pas le même objectif. Elle ne pourra comptabiliser que le patrimoine intellectuel et jamais son patrimoine informationnel, en raison du caractère confidentiel de ce patrimoine d'une part et de la difficulté d'appréhender une information qui n'est pas dans le commerce, d'autre part. La loi algérienne ignore le vol d'informations. Il sera, par conséquent, nécessaire de mettre en place des stratégies de protection des informations que l'entreprise estime sensibles, tenant compte du cadre juridique existant, afin que les actes de ceux qui voudraient, notamment, s'emparer ou détourner des secrets de l'entreprise, tombent sous le coup de la loi pénale et, à tout le moins, engagent leur responsabilité. L'intégration de tous les éléments stratégiques dans une matrice juridique suppose l'existence d'un statut fort pour la fonction juridique. La réalité dans biens des institutions est toute autre. En effet, malgré la libéralisation et l'ancrage de l'économie avec le reste du monde, on continue de confondre le juriste maison ou l'avocat avec un pompier ou un ambulancier. C'est comme si le droit ne retrouve sa fonction que lorsque le feu se déclare ou l'urgence devient une nécessité. C'est ainsi que dans bien des situations, le droit n'intervient qu'en cas de difficultés ou de problèmes et bien souvent trop tardivement pour pouvoir agir sur les causes. Il faut convenir que la fonction n'en est guère valorisée et le juriste bien peu considéré au sein des sociétés quand il n'est pas mis arbitrairement carrément à l'index. Ce qui a d'ailleurs conduit bon nombre de juristes d'entreprises ou de banques à s'investir dans d'autres horizons. Mais toutes les organisations n'ont heureusement pas la même vision des choses et c'est ainsi qu'elles considèrent qu'associer un juriste aux décisions permettrait d'éviter des contentieux, ou à tout le moins les incertitudes qui pénalisent la marche des affaires. D'autres plus entreprenantes ont même compris que le droit devenait un outil de développement au même titre que les ressources humaines ou le technique et qu'il méritait un investissement conséquent. Mais il reste que la plupart des directions juridiques lorsqu'elles existent ne sont pas rattachées directement au président et au premier responsable de l'institution. Elles ne sont pour ainsi dire jamais parties prenantes dans la définition des stratégies. La mise au placard de l'intelligence juridique génère des pertes importantes pour les organisations mais comme elles ne sont pas valorisées, elles deviennent des coûts cachés qui n'apparaissent nulle part et qui n'intéressent personne.